Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/390

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
384
REVUE DES DEUX MONDES.

Autrefois, et il n’y a pas très longtemps de cela, cette sorte d’esplanade servait pour les crémations royales. À ces occasions, tout le terrain était bouleversé de fond en comble. En moins de huit jours, l’on voyait s’élever ici et là des constructions légères en paillottes recouvertes de damas rouge ou d’étoffes de soies anciennes lamées d’or pour le roi et la cour ; puis, une haute tour carrée, sous laquelle se dressait l’urne renfermant le corps du défunt. On y élevait aussi des miradors sur lesquels s’installaient des gens du palais. Ils étaient vêtus de costumes anciens et coiffés de chapeaux pointus, et lançaient à la foule des citrons renfermant des pièces d’argent ou des billes en bois creux contenant des billets de loterie offerts par la munificence royale en l’honneur du défunt. Aujourd’hui, les crémations se font dans une pagode voisine du palais où un bûcher permanent est élevé sous un dôme formé de charpentes de fer et non plus du fameux bois de teck que les Laotiens tributaires devaient fournir. Ici, comme ailleurs, on retrouve les signes du temps.

La résidence du roi, vaste palais d’architecture italienne, détonne un peu à côté des pagodes royales, qui sont restées les plus grandes attractions de Bangkok, parce qu’elles ont conservé leur architecture propre. Leur premier aspect est papillotant. On ne saurait s’imaginer cet ensemble de pyramides ouvragées, recouvertes de tuiles vernissées aux couleurs claires et éclatantes. Quelques-unes sont revêtues d’une sorte de mosaïque, faite de morceaux de glace et de faïence ; d’autres sont recouvertes de fleurs en relief formées par des tessons de tasses de Chine aux brillantes couleurs. Le tout s’harmonise sans crudité de ton et offre un coup d’œil d’une originalité fastueuse.

La pagode du Vat-Phrakéo[1], très surélevée, entourée de colonnades et de multiples pyramides religieuses ou funéraires, est un monumeid d’une architecture étrange ; autant que superbe, où éclatent des beautés ignorées de nos monumens d’Occident. Généralement, les phnoms pyramidaux sont en faïence émaillée et de couleur étincelante : les uns bleus, les autres roses ou jaunes, ou encore de teintes heureusement combinées. Aux portes, comme partout ailleurs, les moindres détails d’ornementation attirent l’attention par l’élégance des motifs et le fini de leur exécution. Ce fouillis de détails, cette surcharge de motifs éton-

  1. Les ph se prononcent comme un p.