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UNE VISITE À BANGKOK.

Une statuomanie bizarre a poussé le roi de Siam à accepter un déplorable présent. Un riche Chinois a offert à Sa Majesté une collection de statues en pierre représentant des types ethnographiques de toutes les races ; et il les a placées dans l’enceinte du Vat-Phrakéo, au milieu des sanctuaires, des phnoms, où on les rencontre disséminées dans tous les sens autour de la pagode centrale. À côté des immenses figures de Chinois fantastiques et grimaçans, les ogres, qui gardent les portes ; à côté des éléphans et des taureaux de bronze, des lions chimériques, à la gueule ouverte, dont les incisives tiennent éternellement la boule de granit roulante, on contemple avec stupéfaction le petit marin français au col rabattu, le moujik sous sa toque fourrée, le soldat anglais, l’américain, l’espagnol ou le hollandais. On ne saurait se figurer l’effet grotesque de ces affreuses reproductions au milieu de la fantasmagorie orientale.

Auprès du Vat-Pho (pagode du bouddha couché), se retrouve la même série de pagodes grandes ou petites, avec des rangées de cloîtres sous lesquels s’alignent, à côté les uns des autres, des centaines de bouddhas dorés, tous pareils, tous inertes et sans expression. Ce sont toujours aussi les jolies pyramides isolées ou placées dans l’ordre architectural du monument, les phnoms, qui figurent dans les armoiries du Cambodge, et qui, le grand soubassement carré en moins, reproduisent les édicules funéraires des Tibétains appelés tchorten. Ces monumens, souvent ruinés, ne résultent pas toujours d’un plan d’ensemble facile à comprendre ; ils paraissent parfois jetés en désordre au milieu des arbres poussés dans les ruines. À l’ombre de monticules buissonneux, se perdent des groupes fantastiques d’animaux féroces, figurant de véritables scènes. La jolie végétation envahissante encadre les brillantes faïences, voile de son mystère les légendes les plus bizarres, et donne à toutes ces colorations vives une atténuation très douce, une poésie et une tonalité pleine de charme. Le « Bouddha couché, » entièrement doré, est étendu sous un grand abri, posé sur le côté, la tête appuyée sur le bras droit. Dans la pénombre, l’effet est assez saisissant. Ses pieds mesurent cinq « parapluies » de longueur. Cette mesure est assurément inédite, mais c’est la seule dont je disposais, et j’ai compté 75 pas pour remonter des pieds à la tête.

Le comte de Beauvoir, dans son livre Java, Siam, Canton, en a fait une fort belle description, mais, comptant sans doute