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en Orient, les soldats d’avant-garde, comme les apôtres qui savent faire aimer Dieu et la France.

Mon guide professe pour les missionnaires l’admiration qu’ils méritent. Il les a connus dans la brousse, vivant dans une case de feuillage ou de bambou, se contentant de la nourriture indigène, si insuffisante pour un Européen, se privant de tout, et conservant la bonne gaîté française, pour braver la misère et la souffrance avec le même entrain et le même humour que nos vieux soldats au bivouac.

Malgré la malpropreté et les odeurs déplaisantes, j’aime les courses dans les bazars et les cités indigènes. Je dois d’ailleurs reconnaître que la grande pluie de la veille, trop fréquente encore à mon gré en cette saison, a tout balayé et qu’une brise secourable nous met à l’abri des infections promises. Le marché est, dans tout l’Orient, le lieu de réunion par excellence. C’est au Talat (marché) que l’on peut entrevoir rapidement la vie de l’indigène, ce qu’il vend et ce dont il a besoin, ce qu’il mange, ce qu’il boit, sa façon de s’habiller, son travail et sa paresse, son caractère, son humeur, sa gaîté et sa tristesse, son allure et en un mot toute sa vie. Je m’amuse de toutes les boutiques et de tous les passans.

J’apprends que le jupon des femmes se nomme pha-noung et leur écharpe pha-hom. Hommes et femmes portent à peu près le même costume et les cheveux coupés ras. Seules, quelques jeunes femmes gardent les cheveux longs et trahissent ainsi leur origine annamite, laotienne ou pégouane. Je revois, au bazar, le kaki[1], le fruit renommé de la Chine, la sapotille à l’honnête figure de pomme de terre et au goût de nèfle. C’est un souvenir de Java, importé par le roi lui-même à la suite d’un voyage en 1872. Je retrouve les superbes bouquets de fleurs de lotus, à la corolle rose teintée, aux étamines d’or montées sur longs fils d’un blanc crème, au joli style en large disque piqueté d’or. Elle est admirablement noble, la fleur consacrée aux dieux, depuis l’Egypte jusqu’à l’Extrême-Orient. Tout à côté, le dauphin et le requin sont débités par tranches, avec les tortues et nombre de poissons. En fait de cuisine, on me préconise les œufs filés (œufs de canard salés) comme un mets à introduire chez nous ; et, en passant, on me recommande, pour le voyage, les gargoulettes

  1. Le Kaki est le fruit du plaqueminier, cheu-tzeu en chinois.