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achèvent de se consumer ; et plus loin, dans les salas ouverts, se reposent les parens et les amis qui assistent à la cérémonie et doivent chacun apporter un morceau de bois au bûcher. Quand nous nous sauvons, confondus de ces scènes d’horreur que Dante n’eût osé rêver, les immondes repus font la sieste ; une vieille femme nous poursuit, tenant en main un os maxillaire à demi édenté qu’elle veut placer sur nos figures ; et un vieux sapareu offre, en ricanant, à notre admiration, une tête de mort dont il fait jouer la mâchoire.

Comme, en revenant, nous flânons aux boutiques, nous arrivons devant une maison en fête, dans laquelle on nous invite à entrer ; tout le monde est paré et a l’air riant, on voit partout des fleurs et des ornemens ; il y a évidemment un cadavre dans la maison. Il semble que les Siamois aient à se réjouir de voir leurs parens et leurs amis quitter cette vallée de larmes. Ils considèrent que leurs pleurs seraient une offense au mort, et pourraient le retarder et l’entraver sur la voie des diverses incarnations par lesquelles il doit passer.

Nous sommes dans une sorte de large boutique sans devanture, un guéridon est au milieu, sur lequel on s’empresse de nous apporter un plateau chargé de minuscules lasses de thé. A notre droite, s’élève une pyramide d’étagères très bien garnies, et au sommet, se trouve le grand coffre dans lequel la morte est enfermée. Des parfums délicieux nous entourent ; et de spongieuses goyaves sont placées en profusion près du corps, pour absorber les miasmes qui s’en échappent. Toutes les femmes de la maison sont habillées de blanc, c’est la couleur du deuil ; et les proches parentes ont la tête rasée. Après l’arrière-boutique où les femmes sont réunies, se trouve une cour pleine de fleurs et d’arbustes placés dans des caisses ou des faïences. Le Siamois, comme le Chinois et le Japonais, trouve les arbustes d’autant plus beaux que, à force de les tailler, il est parvenu à faire venir plus directement les pousses fraîches sur le vieux bois. Une grande maison est au fond de la cour. Tout est propre en ce jour de réception, nous sommes chez de riches commerçans. Un grand escalier accède à la salle supérieure. Des friandises, des sucreries, des tasses, des services de toutes sortes se rencontrent partout. Nous devons, sous peine de ne pas être polis, accepter de nouveau thé ou soda water et bonbons variés qui remplissent une quantité de petites assiettes. La table en est couverte.