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yeux plutôt que de mettre la main sur elle. Peut-être son sauveur eût-il payé de la vie sa hardiesse ? Le roi cependant, tout en respectant cette coutume et la déplorant sans doute, a dégradé le mandarin qui commandait.

Toute la journée les rives continuent de fuir doucement, délicieusement à mon gré, mais trop lentement pour mes aimables compagnons, qui supputent l’heure tardive où nous arriverons à Bang Pa In. De temps en temps, on demande, un renseignement à un indigène : il répond par des unités de mesure à lui connues, par exemple : le temps de faire cuire une marmite de riz, de la manger et de fumer deux cigarettes, de faire cuire le riz pour quatre personnes, ou le temps de doubler tel nombre de caps en suivant les méandres de la rivière. Le Menam s’élargit et égale bientôt le Mékong à Phnom-Penh. Les cases s’espacent, le pays reste riche et habité, la clarté de la lune a succédé aux rapides douceurs du soleil couchant ; et, à 11 heures du soir, nous atteignons l’escale délicieuse qui est Bang Pa In. L’hôtellerie des princes a été gracieusement mise à notre disposition par le ministre de l’Intérieur, le prince Damrong, et nous y trouvons un confortable gîte à l’européenne.

Le palais royal, situé tout auprès, est une charmante habitation entourée de jolies pièces d’eau et de plusieurs autres palais et pavillons particuliers destinés à chacune des reines. Le roi n’y séjourne plus qu’une quinzaine de jours, chaque année, depuis le douloureux accident qui a coûté la vie à sa favorite. Il s’y rend avec toute sa cour au moment des hautes eaux, vers la fin d’octobre. C’est à Bang Pa In, qu’en 1891, il reçut le tsar Nicolas II, alors tsarévitch. On raconte qu’à cette occasion il donna des fêtes splendides, dont l’empereur de Russie semble avoir conservé un souvenir reconnaissant, car c’est de cette époque que date l’amitié de notre allié pour Chulalongkorn. Ces fêtes comprenaient une chasse aux éléphans dans le Kraal de l’ancienne capitale Ayutia, à quelques lieues en amont ; des joutes sur l’eau, des simulacres de combats des temps passés avec d’énormes mastodontes armés en guerre ; des jeux nationaux et enfin, comme clou de la fête, plus d’un millier d’indigènes venant offrir à l’héritier des tsars un fruit, une plante, un animal, une étoile, un bijou, produits du pays.

Le roi habite à Bang Pa In un pavillon entièrement en bois, richement décoré à l’intérieur. On y remarque quelques jolis bi-