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agir les personnages mêmes de M. Sardou. Il n’eût pas manqué de nous montrer Rysoor hésitant entre le souci de sa vengeance et les inspirations de son patriotisme. De ce conflit de sentimens il eût fait dépendre toute l’action. M. Sardou a tenu à nous indiquer en un bout de scène que l’intérêt de ce conflit n’avait pas échappé à sa clairvoyance, et que, s’il ne le développait pas davantage et n’en tirait aucune conséquence, c’est parce qu’il ne le voulait pas, son effort devant se porter ailleurs. Imaginez quelque dramaturge de l’école allemande traitant le même sujet d’après les procédés d’Egmont et de Wallenstein. Il nous eût donné, non sans étalage indiscret d’érudition, une série de tableaux dont la juxtaposition eût formé une sorte de grande fresque historique. Mais nos romantiques connaissaient leur public français : ils le savaient prompt à s’ennuyer. C’est pourquoi ils s’empressèrent d’emprunter aux fournisseurs ordinaires des scènes du Boulevard des procédés d’un effet sûr et qui se sont trouvés d’un assez bon usage, puisque, après tant d’années, ils font encore merveille dans Patrie.

L’important est de tenir sans cesse la curiosité en éveil, de la renouveler à chaque instant par un coup de théâtre plus imprévu et plus saisissant. Patrne est, à ce point de vue, un chef-d’œuvre. Tant que le comte de Rysoor s’est borné à nous faire le tableau de la misère des Flandres et de la tyrannie du duc d’Albe, nous l’avons écouté avec patience, et parce qu’il faut bien que la pièce ait une exposition. Mais ce même Rysoor comparaît devant le grand prévôt. Il est accusé d’être resté absent de Bruxelles pendant quatre jours. Nous savons que le fait est exact. Un capitaine espagnol, en logement chez lui, est appelé en témoignage ; ce témoignage va le perdre… il le sauve ! Voilà une péripétie à laquelle nous ne nous attendions pas et qui nous fait dresser l’oreille. Rysoor apprend qu’il a été vu cette nuit dans son palais, qu’il sortait de la chambre de la comtesse, qu’il s’est battu avec un ivrogne, qu’il s’est blessé à la main. Sa surprise est grande, et la nôtre est égale à la sienne. Un homme sortait la nuit de la chambre de la comtesse. Il s’est blessé à la main. Quel était cet homme ? Quelle était cette main ? L’intrigue est engagée ; l’intérêt ne fera plus que croître jusqu’au dénouement. — Parce qu’elle déteste son mari, Dolorès court chez le duc d’Albe, et lui livre le secret des conjurés ; après quoi, et le mot à peine lâché, elle s’aperçoit que l’effet immédiat de sa dénonciation, a été de désigner pour le supplice, qui ? son amant. — Pour guider les Flamands révoltés, Rysoor a fait choix de Karloo ; juste au moment où il se réjouit de serrer sur son cœur un véritable ami, il reconnaît en lui, qui ? l’homme à la main coupée, l’amant de sa