Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veut nulle autre à ma place. » En vérité, ajoute-t-elle, la maladie est pour les enfans une bien mauvaise éducation. Mais quoi ! La santé n’en est guère une meilleure ! « Voilà mes grandes histoires ! avec un fouet et un repas d’anachorète donnés à ta petite coquine, qui me dit fort bien qu’elle t’obéit parce que tu es le plus fort, et qu’elle ne doit pas m’obéir si vite parce que je ne suis pas si forte. Cependant je lui ai fait sentir que je l’étais encore plus qu’elle, et elle a fini par convenir que c’était assez pour que ma volonté dût l’emporter sur la sienne : mais il a fallu inculquer cet argument du bon côté. » Trouvera-t-on peut-être tous ces détails un peu vulgaires ? Et, en effet, ils le sont : la nature et la vérité manquent parfois de distinction ! Ils sont surtout un peu communs, ou fort ordinaires, pour mieux dire, et je pense que toutes les mères en ont conté de pareils à tous les pères. Mais, précisément, il était bon de savoir qu’après avoir différé de beaucoup de jeunes filles, et avant de différer de beaucoup de femmes, Mme Roland a ressemblé, cinq ou six ans, à toutes les mères.

Cependant, et au milieu de tout cela, ce qui est plus curieux encore, c’est de voir, d’année en année, l’ascendant croissant que, dans ce ménage, la femme prend sur le mari. Il ne semble pas à vrai dire que ce soit, de la part de Mme Roland, l’effet d’aucune politique ou d’aucun calcul domestique. Non ! Mais c’est que Roland, avec toute sa science et ses « capacités administratives, » qu’on nous permettra de ne pas discuter, n’est à proprement parler qu’un pauvre homme, tout en façade, et de ceux qui derrière cette façade ne dissimulent que le vide et le néant du caractère. On a conté qu’Eudora Roland, devenue Mme Champagneux, ne pouvait pardonner à Lamartine « d’avoir amoindri et obscurci « la grande figure » de Roland, pour faire ressortir et briller d’autant plus, par le contraste, celle de Mme Roland. » Lamartine a eu raison ; et en cette occasion, comme en tant d’autres, son instinct de poète l’a bien servi. Roland a commencé par faire de Marie Phlipon sa collaboratrice, et je ne doute pas crue, tandis qu’elle rédigeait pour lui les articles de son Dictionnaire des Manufactures, il ne continuât, lui, de se complaire dans sa supériorité de fonctionnaire et de technicien. Mais la collaboratrice, qui avait sur son maître la supériorité de l’intelligence et du caractère, monte insensiblement et naturellement à sa vraie place, qui est la première. C’est elle qui le conseille, au bout d’un ou deux ans, et qui le guide, sans presque s’en douter elle-même, et, lui, sans qu’il s’en aperçoive. A mesure qu’elle redevient maîtresse de ses sens, et que les années la dégagent des servitudes immédiates de la maternité, Roland ne fait plus rien ou