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reçoit l’apport tumultueux des cascades, bouillonne tandis que le soleil y plonge comme un tison ardent.

Mais, tout près, dans un pan de ciel vert, apparaît l’ourlet blanc et bleu des glaciers. Leur collerette pare d’une grâce suprême l’épaule abrupte des rocs. Il faut monter encore et atteindre là-haut avant que le soir n’ait caressé, de son dernier rayon, le dernier sommet.

Ce sont, maintenant, les neiges éternelles. Le linceul blanc est étendu là, pour toujours. Il suffit de quatre kilomètres en hauteur pour éteindre la vie sur la terre.

Au loin, sur des sommets et des dômes qui s’enfoncent et moutonnent vers l’horizon, rien que l’étendue blanche. Le soir survenu ajoute à l’effroi de la vie disparue. Plus rien que le blanc. Chute de la neige pendant les mois d’hiver, silence sur silence, ouate sur ouate, blanc sur blanc. Tout se crispe, se resserre, se durcit, et la glace s’amassant, s’enfonçant et s’épaississant sans cesse pousse, par son poids, dans les joints, dans les plis, dans les profondeurs, son lit de granit vert sur les lits de granit noirs et rouges que le feu a déposés jadis.

Dans les nuits claires, au-dessus des plaines blanches, la lune roule, promenant sa lumière et son ombre de mer en mer, de vague en vague. Elle ne voit rien que son image courant, à sa suite, au faite des glaciers. La terre, au-dessous d’elle, est comme une autre lune, aussi triste et aussi désolée qu’elle-même et qui, dans le silence de l’espace, reflète sa course vagabonde.

Mais, dans les nuits sans astre, l’étendue alpestre, sans fin et sans vie, n’a même plus, pour l’animer, le jeu de la lumière et de l’ombre. Le sommet perd son terne reflet. Il s’éteint ; il demeure. Au-dessus de lui, le gouffre du ciel est ouvert, et, si les nuages s’assemblent, rien ne distingue leur masse confuse de la masse qui les soutient.

Cependant les mois tournent et le soleil s’est ranimé. Un souffle a passé sur la terre. Et voilà qu’ici même, dans le grand silence, à l’aube d’une nuit moins longue, des bruits sourds ont retenti : des craquemens profonds, des soupirs, des plaintes. On dirait que le linceul voudrait se soulever… Dans la joie universelle du printemps, l’émotion a gagné même ce monde désolé. Les pleurs commencent à couler, goutte à goutte : les larmes des sommets, des glaciers et des moraines. Partout les fronts