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1 900 mètres et 2 000 mètres d’altitude, sur les sommets de Belledonne, se trouvent les réservoirs de grandes forces : ce sont les glaciers de la Combe et de Freydane. C’est là qu’il faudrait aller et M. Bergès a conçu le vaste et hardi projet de l’aire, de ces deux grands lacs qui sont à proximité des glaciers, les chambres à eau qui alimenteraient son usine et son dépôt de forces avec une régularité et une puissance extraordinaires. Alors, les 10 ou 15 chevaux primitifs, qui sont devenus 500, qui sont devenus 3 000 à 4 000, deviendraient 10 000 chevaux au minimum. Les plans sont faits. Tout un système de canalisation, de conduites, de voies d’adduction est déjà en construction. Au lac Blanc, un tunnel de 400 mètres de long est commencé pour aller en crever le fond à 21 mètres au-dessus de son niveau actuel et permettre d’y prendre, à volonté, les 1 100 000 mètres cubes d’eau qu’il contient. Au lac Crozet, un tunnel, qui a été terminé en 1897, permet de le vider à 27 mètres au-dessous de son niveau habituel, et un petit barrage, en travers de la brèche par laquelle s’écoulaient ses eaux, les surélève à cinq mètres au-dessus de ce même niveau. Le tunnel a été fait sans difficulté. Il a pourtant 240 mètres de long et traverse des roches fort dures. L’accès des vannes à toute époque de l’hiver a été possible et leur manœuvre, malgré l’altitude des régions où elles sont établies, n’a donné lieu à aucun ennui.

Ainsi, c’est fait ; la montagne est domptée. La grande surface de 15 millions de mètres carrés que ses hauts sommets présentent au ciel et qui reçoivent, nuit et jour, l’eau et la neige qui tombent suivant la saison, ces 15 millions de mètres carrés sont maintenant un évier ou un entonnoir qui ramasse ces eaux et par lequel elles s’écoulent, selon que le gardien de la chambre d’eau, — solitaire dans son poste, — ouvre ou ferme son robinet. Les glaciers font partie de l’outillage de l’usine. Ils congèlent l’eau et la conservent pour le temps opportun. Ce sont d’immenses éponges qui s’emplissent l’hiver et se vident quand l’été vient. Les lacs sont de grands tonneaux, ou mieux de grandes cuves. On les attaque par-dessous et on leur applique une bonde par laquelle on les vide régulièrement sur les turbines. Les sombres nuits sans lune, sur les sommets sont les ouvrières aveugles qui tissent, en silence, dans les longs hivers, le fil des forces naturelles que l’industrie humaine dévidera lentement sur son rouet de fer.