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serviteurs de la République, se trouva l’avoir livré aux adversaires du christianisme, et comment ils employèrent contre la foi religieuse de la nation ce pouvoir remis à leur foi politique.

Ils savaient que le plus sûr moyen de former les esprits est l’éducation. Ils résolurent de mettre la main sur elle, le prétexte fut la réforme de l’enseignement, et le prétexte de la réforme le zèle du savoir. Il y avait dans ce zèle une part de sincérité : mais un véritable souci de la science, s’il eût décidé les républicains à étendre et à perfectionner l’enseignement de l’Etat, les eût rendus sympathiques à l’enseignement libre, qui, en multipliant les écoles, combattait l’ignorance. Or, la première réforme fut pour le détruire. Il était presque tout entier donné par des ordres religieux, le gouvernement veut leur enlever le droit d’enseigner. Ce sont leurs succès qui les condamnent, car ils préparent dans la France deux Frances. Le remède est de rendre, en fermant les écoles religieuses, le monopole de l’enseignement à l’Etat. La Chambre ne veut pas moins, quand elle vote en 1879 le fameux article 7 ; le Sénat le rejette : le gouvernement, par les décrets de 1880, demande à la force le monopole que la loi lui refuse. Les écoles menacées survivent à cette violence, aussitôt une autre guerre succède. On n’a pas réussi à remettre à l’Etat la domination des consciences, c’est leur liberté qu’on le charge de défendre. On s’avise que les affirmations de l’Université sur l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme sont en désaccord avec le sentiment d’un certain nombre de Français. L’Etat, qui représente tous les nationaux, ne doit, par ses doctrines, écarter de ses chaires aucun d’eux : il est donc tenu de rester neutre dans les questions qui les divisent. C’est cette neutralité que la Chambre persévérante et le Sénat à bout d’énergie consacrent en 1882, quand ils refusent d’inscrire dans la loi l’enseignement des devoirs envers Dieu.

Jamais plus grave mesure ne fut prise sur un plus pauvre argument. L’Etat, par ses institutions et ses années, honore et défend la patrie, sans respect pour les minorités qui la nient. L’Etat reconnaît et protège la propriété, sans égard pour la conscience des minorités qui appellent la propriété le vol. De même, l’Etat, en enseignant la foi à Dieu et à l’âme, affirmait les doctrines que l’accord des races et des siècles proclame nécessaires ù l’homme et à la société. Loin que l’Etat eût le droit de devenir neutre en face d’elles, il avait le devoir strict de les soutenir.