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pensée suffiraient à pousser vers les théories dangereuses les esprits téméraires. Combien plus, quand ces témérités sont, pour leurs auteurs, non seulement inoffensives, mais fructueuses ! Quand les chaires, — c’est-à-dire, pour les maîtres, l’obscurité ou l’éclat, l’impasse ou l’avenir, — appartiennent à un État dont l’incrédulité religieuse est déjà envahie par le socialisme ! Par là, la politique gouverne et transforme l’Université. A la conviction l’intérêt s’ajoute pour accroître l’anarchie intellectuelle chez les destructeurs, l’intérêt suffit aux sceptiques. Puisque, pour être ami de l’Etat, il faut devenir ennemi de la société, l’esprit de docilité fait lui-même de ces rebelles, et pour plus d’un le socialisme est un placement de père de famille. Toute cette ambiance est corruptrice des esprits plus jeunes encore et moins capables de se défendre.


VI

De là l’importance de l’enseignement libre. Il n’est pas seulement à l’heure présente l’exercice d’un droit. Il perpétue seul en France la doctrine qui, par les croyances religieuses, donne une base à la morale. Il remplit au profit de tous le plus important des offices publics. Contre l’anarchie qui menace de tout submerger, et que l’Etat lui-même encourage, il reste la digne, la dernière.

Mais pas d’illusion. Si l’énergie religieuse s’est accrue dans les chrétiens, l’influence du christianisme tend à décroître dans la nation. Les lois scolaires ont, par l’obligation et la gratuité de l’instruction primaire, assuré à l’Etat l’enseignement de la multitude : en fait, les catholiques ne sauraient soutenir des écoles gratuites dans toutes les communes. La libre pensée, par une antinomie où triomphe le déterminisme, sortira, malgré la volonté des Français, comme une conséquence automatique, de ce mécanisme légal. Et, quand la multitude sera toute gagnée, elle donnera à la politique la force d’achever l’œuvre, fût-ce malgré l’Université, par la suppression complète de l’enseignement libre. Alors l’incrédulité et le socialisme parleront ensemble et seuls par la bouche de l’Etat.

Comment prévenir le désastre ? En éclairant l’opinion avant qu’elle soit pervertie. Tout ce qui agit sur elle est utile, utile à proportion qu’il agit sur elle, et, puisqu’elle est surtout formée