Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tradition et adaptée à l’État moral et politique du pays comme à sa topographie et à son climat, ont fait de la race éthiopienne une personnalité historique et de l’Ethiopie une nation. Il ne lui a manqué que de n’être pas séparée du monde extérieur, et, comme à la Russie d’avant Pierre le Grand, que d’avoir une fenêtre sur l’Europe, pour devenir en Afrique un foyer rayonnant de civilisation et comme un noyau de coagulation. Les Ethiopiens sont, en tout cas, dans tout le continent noir, le seul peuple indigène qui soit à la fois organiquement constitué, indépendant et chrétien. L’Ethiopie n’est pas, quoique le pharisaïsme intéressé de certains Européens tente de le faire accroire, un ramas de peuplades barbares qui ne sauraient marcher d’elles-mêmes vers une civilisation moins sauvage ; elle est, au contraire, une nation autochtone, anciennement policée, qui s’était endormie dans l’isolement, mais qui porte dans son corps robuste assez d’énergie vitale pour puiser en elle-même, au contact retrouvé de la culture occidentale, les élémens d’une rénovation et d’un progrès rapides ; elle possède toutes les forces sociales, les titres d’antique noblesse et les promesses d’avenir qui constitue ni, pour un peuple, le droit à la vie.


II

Au cours du siècle qui vient de finir, l’Europe a de nouveau découvert le royaume du Prêtre-Jean. L’Ethiopie, explorée, décrite par les voyageurs, n’a plus guère, pour le géographe, de secrets importans. Enfin, en ces dernières années, une série d’événemens, épisodes étroitement rattachés à l’histoire du « partage de l’Afrique, » ont haussé l’empire du Roi des rois au premier rang dans les préoccupations des hommes d’Etat et dans les combinaisons des diplomates : l’Ethiopie a pris sa place dans la politique générale.

Vers le second tiers du XVIIIe siècle, à l’époque où commençait, parmi les savans et les gens du monde, la vogue des grands voyages de découverte, l’exploration aventureuse de James Bruce appela sur la Haute-Ethiopie l’attention publique, mais la série des révolutions et des grandes guerres vint détourner des choses d’outre-mer les yeux des Européens et absorber toutes leurs énergies. Bientôt s’ouvrit l’ère des grandes explorations ; la curiosité universelle, attirée vers le continent noir, ne se lassa plus