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relations amicales. Par la convention d’Utchalé (Ucciali), l’Italie reconnut Ménélik comme négus et s’engagea à lui prêter quatre millions de francs ; l’empereur, de son côté, laissa aux Italiens la possession d’un territoire important dans l’arrière-pays de Massaoua, avec Kéren et Asmara. On sait que le traité contenait, en outre, ce fameux article 17, sur l’interprétation duquel les parties contractantes ne furent jamais d’accord et dont le gouvernement italien se servit, en forçant le sens des mots, pour proclamer son protectorat sur l’Abyssinie. La controverse de traduction n’a plus aujourd’hui qu’un intérêt de curiosité rétrospective ; le fait de la notification aux puissances de ce protectorat imaginaire nous importe seul. Il montre combien l’Ethiopie était encore mal connue et à quel point on ignorait sa puissance, ses ressources, son admirable position stratégique et sa civilisation. Les conventions du 14 mars et du 15 avril 1891, du 5 mai 1894, signées entre l’Italie et l’Angleterre, étaient encore plus audacieuses. L’Abyssinie, par une interprétation abusive de l’acte de Berlin et de la théorie des hinterland, était traitée comme un Dahomey ou un Zoulouland. Italiens et Anglais y traçaient leurs frontières comme s’il se fut agi d’un désert et s’en partageaient le protectorat : aux Italiens revenait toute l’Abyssinie, avec le Harrar et le Kaffa ; aux Anglais, la côte de Zeïla et toute liberté d’agir sur le Nil. Non seulement ces conventions, qui rayaient un peuple de la carte des États libres, ne firent pas scandale en Europe, mais on sembla même n’en point apercevoir la portée. A Paris, déjà après le traité d’Utchalé, M. Spuller, ministre des Affaires étrangères du cabinet Tirard, avait donné acte, sans restrictions ni réserves, au gouvernement italien, de la notification de son protectorat sur l’Abyssinie : seul, le cabinet de Saint-Pétersbourg, mieux informé ou plus avisé, avait su éviter de reconnaître prématurément un fait qui était loin d’être accompli. Et pourtant, ce n’était pas du sort de quelque peuplade anthropophage qu’il s’agissait, mais de la domination du Nil et de la route des Indes !

La conception d’ensemble de la politique britannique, depuis longtemps arrêtée, fixée dans ses grandes lignes et fidèle tuent exécutée par l’un ou l’autre des partis au pouvoir, se dessinait cependant avec netteté et se réalisait au grand jour. Si l’on rapproche tous les faits qui se sont succédé dans l’Afrique orientale, depuis l’occupation de l’Egypte par Wolseley et le débarquement