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personnages, dans l’instant qu’il le mettait en scène. Ses paroles éclatantes se heurtaient et bruissaient comme un cliquetis de sabre, et, bien que les nattes du plancher, les solives du plafond, les fenêtres aux vitres de papier, toute la salle fût éclairée à l’immobile et vive lumière de trois becs électriques, ses chuchotemens mystérieux y faisaient descendre le crépuscule et la nuit.

Son éventail prenait entre ses doigts une vie fantastique. Tantôt, déployé d’un coup brusque, il affectait la grâce impérative et rude des lourds éventails de fer que maniaient les hommes d’armes. Tantôt ses feuilles à demi dépliées s’agitaient doucement, comme émues d’un caprice de femme. Tour à tour il protégeait de son aile silencieuse le tête-à-tête d’un jeune homme et d’une courtisane, couvrait les plongeons cérémonieux et le sourire béat d’un vieux bonze, ou frétillait sous les yeux émoustillés d’une honnête commère. Confidentiel et provocant, furtif et solennel, et, dès qu’il se refermait, bâton merveilleux battant la mesure à l’héroïsme, il communiquait au récit du conteur un entrain que mes lettres moulées ne lui rendront pas.

Mais l’aventure d’Imamurasaki n’en évoque pas moins l’image réelle d’un Japon qui, pour être enterré depuis cinquante ans, n’est pas encore tout à fait mort. J’en aime la vérité romanesque et la barbarie distinguée. Les caractères m’y paraissent plus nuancés que dans la plupart des fictions japonaises. Les héros ne nous dissimulent pas leurs intimes défaillances, et ce petit coin du Japon féodal vous révélera sans doute une étrange conception de l’honneur.

Les premières scènes, je m’empresse de le dire, se passent dans un mauvais lieu. C’est le théâtre habituel où les romanciers japonais promènent leurs personnages. Ils y vont étudier l’amour, car l’amour, considéré dans la vie sociale comme une faiblesse inutile ou méprisable, retrouve au Yoshiwara sa force et ses droits, s’y relève et s’y justifie. La, courtisane reçoit du privilège qu’elle exerce une sorte de dignité. Et c’est la revanche de cet irrésistible amour que, banni du mariage, il condamne ses peintres à le chercher dans la débauche. D’ailleurs, au Japon, la débauche a son étiquette aussi et même rigoureuse. On lui veut une ceinture dorée, mais correctement nouée. Et, comme ses plaisirs ne sont point tenus pour des péchés et ne se compliquent d’aucune volupté morose, elle garde, sous d’étincelantes lumières et de riches étoffes, le décorum de la politesse et j’oserais