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— Nul n’y est forcé, mon seigneur, mais cela semble préférable.

— Soit : j’en ai une.

— Déjà ! Je cours et vous la ramène.

— Ma connaissance, dit le samuraï, habite le quartier de Kojimachi : c’est un marchand de légumes. Je ne connais personne autre.

— Ah ! seigneur samuraï, fit le domestique en riant, le visage jusqu’à terre, vous excellez à vous railler du monde ! Je ne parle que des oïrans que vous pourriez connaître.

— Eh ! non seulement je n’en connais point, mais, si je vous prie de me renseigner, c’est que j’ignore même le moyen d’en acheter une.

— Vous avez raison, mon seigneur : je vous conseille donc de jeter les yeux sur celles qui sont en bas et de choisir.

Le samuraï réfléchit un instant : — J’en ai vu passer une tout à l’heure, dont je ne saurais dire si elle est belle, mais il ne me déplairait point qu’elle vînt s’asseoir à mes côtés. Quand je suis entré chez vous, elle avait déjà pris place au fond de la salle, à gauche.

— Votre seigneurie tombe à merveille, répondit le domestique. Cette dame est la plus célèbre de nos oïrans. Elle a nom Imamurasaki.

— Va donc vers elle ! » et, tirant de sa manche un petit paquet : « — Tiens, dit-il, voici cinquante ryôs d’or. Procure-moi tant de plaisir que le souvenir m’en dure encore longtemps après que j’aurai regagné mon pays natal. »

Le domestique ouvrit de grands yeux, car, à cette époque, les faveurs d’une oïran et le service d’une maison de thé ne montaient pas à plus de dix ou douze ryos, et l’étranger lui parut fabuleusement riche.

— Mon seigneur, lui dit-il, pardonnez-moi d’être indiscret, mais je vous serais obligé de me donner votre nom.

— Qu’à cela ne tienne ! Je m’appelle Naô Saburo.

Le domestique enveloppa l’or dans une feuille de papier où, après y avoir noué des fils blancs et rouges, il écrivit Naô-san (Monsieur Naô), puis il descendit et respectueusement s’approcha de l’oïran.

Selon les coutumes du Yoshiwara, qui ne manquent point d’étrangeté, la première rencontre avec une oïran se célèbre