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— Et maintenant, s’écria Naô, l’heure est venue d’offrir ta tête à la tablette de mon père !

— Si j’ai tué ton père, dit Tsuruga, j’ai obéi à l’esprit des samuraïs qui ne peuvent rester sous la honte d’un échec. Mais il est temps que je te délivre ton congé de ce monde !

Les sabres se croisèrent et Tsuruga marcha contre Naô, qui se défendit, non sans trembler. Le maître d’armes ne tarda pas à s’apercevoir que son adversaire était faible et qu’un seul coup suffirait à l’occire. Mais il songea que ce jeune homme l’avait cherché cinq ans, que durant cinq ans il avait souffert, que ce dévouement à l’égard de son père était chose noble, qu’il ne fallait pas intimider ou décourager dans l’avenir des sentimens si généreux et si nécessaires, et que, pour toutes ces raisons, lui, Tsuruga, devait mourir. Et, résolu de se faire tuer, il poussait d’âpres cris afin d’exciter Naô et de redoubler son ardeur. Et à chaque cri Naô rompait, et, ses pieds s’empêtrant dans les racines d’un pin, tout à coup il tomba.

— Prends garde, rugit Tsuruga, mon sabre est sur toi !

À ce moment, un samuraï coiffé d’un chapeau de rônin, et qui s’était caché derrière un tronc d’arbre, s’écria :

— Seigneur samuraï, excusez l’impolitesse, mais j’arrive à votre secours !

Et il plongea son sabre dans le flanc de Tsuruga. Celui-ci hurla de surprise et de douleur.

— Qui donc es-tu ? Quand on vient aider un samuraï qui accomplit sa vengeance, la règle veut qu’on se déclare avant le combat ! Et c’est par toi que je vais commencer !

Il s’élança à la poursuite de l’inconnu qui détalait vers le temple, mais Naô bondit sur ses pieds. « C’est la grâce de Dieu ! » s’écria-t-il. Et, courant derrière lui, il l’écharpa d’un violent coup de sabre qui le fendit de l’épaule au cœur.

Tsuruga s’abattit la bouche contre terre dans un flot rouge. Naô l’avait déjà empoigné par le collet, et le traîna jusqu’au pied d’un Bouddha de pierre qui levait vers le ciel sa main droite au pouce replié. Puis il retira de sa ceinture la tablette funèbre de son père, la planta près du corps sanglant et dit à deux genoux :

— Père, je vous ai vengé. Soyez tranquille, père ! Votre meurtrier est mort… Mais ce n’est pas moi seul qui l’ai tué, ajouta-t-il plus bas. Quelqu’un m’a grandement, aidé.

Et ses yeux détachés du sol rencontrèrent l’étranger qui