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II

Il serait injuste de ne pas rappeler le premier de ces ouvrages, bien qu’il remonte déjà à près d’une année. Pour qui sait avec quelle conscience, avec quelle richesse et quelle sûreté d’information M. Victor Bérard élucidait les problèmes orientaux, dans un livre de début sur la Turquie et l’hellénisme contemporain, toute monographie signée de son nom mérite créance. Depuis lors, ce rude jouteur a été pris d’un bel entrain de bataille : comme il fonçait naguère sur le Commandeur des Croyans. A charge sur M. Joseph Chamberlain, il reproche au sultan de Birmingham le cynisme de ses volte-face. L’homme d’Etat lui répondrait, je le crains, quelles constituent son plus beau titre à l’admiration de ses concitoyens et au contentement de soi-même qu’il professe. M. Bérard ne néglige pas les causes morales de l’impérialisme, il nous montre les cerveaux britanniques envahis soudain par ces fumées d’orgueil ; mais son travail est en majeure partie une enquête économique sur les forces industrielles et les intérêts commerciaux, qui ont déchaîné le mouvement. Dans les explications qu’il nous en donne, les grands personnages du premier plan sont le fer, le coton, la houille ; et aussi ces rivaux dont la jeune fortune alarme les négocians de la Cité : l’Allemagne, les États-Unis. Nonobstant sa réputation d’activité, l’Angleterre aurait paressé depuis vingt ans, elle se serait endormie dans la routine des vieilles méthodes : elle se réveille au claquement des pavillons allemands, qui font une ombre chaque jour plus large sur les mers ; elle s’épouvante de ne trouver dans ses propres magasins que des objets de fabrication germanique.

Le succès est un grand séducteur. L’Angleterre fait en matière commerciale le raisonnement que nous fîmes on matière militaire : pour vaincre le nouvel Empire, il faut l’imiter, lui emprunter ses disciplines, son protectionnisme, ses directions autoritaires. Elle va plus loin que nous : il faut adopter la politique impériale, puisque les intérêts s’en trouvent si bien. — La prospérité allemande ne nous a pas encore persuadés à ce point ; nous sommes gens de principes, nous autres, nous savons sacrifier les intérêts d’une vile industrie à ceux de la noble industrie politique. — Donc, l’école de Manchester est bafouée,