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dans une refonte des lois organiques, dans une constitution meilleure ; leur adhésion se mêlait cependant de quelques réserves. L’accident de Saint-Cloud, l’intervention des baïonnettes, la dispersion des loges, froissaient leurs sentimens ; tels avaient été partisans de la première journée et l’étaient moins de la seconde ; pourvu, disaient-ils, que la réaction ne s’emparât point de l’événement et n’allât pas voir dans la mésaventure des députés une déroute de la Révolution tout entière !

Les intérêts matériels, les affaires, le commerce, se sentaient rassurés, les gens de négoce et de boutique ; montraient un visage épanoui. Toutefois, Paris, depuis dix ans, avait passé par trop de crises et de changemens violens, il avait vu trop de gouvernemens s’élever avec fracas et s’abattre les uns par-dessus les autres, il restait trop brisé de secousses meurtrières et d’espérances déçues, pour qu’un nouveau coup de force, même accompli par Bonaparte, parût immédiatement la solution. Cette fois, les talens de Sieyès et le génie de Bonaparte semblaient offrir de plus sérieuses garanties ; les gens d’opinion réfléchie et moyenne se raisonnaient pour espérer, ils y parvenaient, mais l’espoir n’allait pas jusqu’à une pleine et absolue confiance. Ainsi s’explique ce passage du premier rapport transmis par le bureau de police, rapport qui voulait être optimiste : « Ce qui doit donner l’idée la plus satisfaisante de la situation des esprits, c’est que le contentement qu’inspire la révolution du 18 brumaire n’a ni l’exaltation ni l’enthousiasme qui naissent et meurent presque en même temps. C’est au fond du cœur que ce contentement réside. C’est dans l’intérieur des familles qu’il se déploie le plus librement[1]. » Une observatrice placée très près des événemens constate l’allégresse générale, en posant toutefois une réserve : « On se croirait revenu aux premiers jours de la liberté ; seulement, l’expérience des dix dernières années se fait sentir, et la méfiance se mêle au contentement[2]. »

Il ne faudrait pourtant pas croire que la journée se soit écoulée sans manifestations extérieures, très significatives des impressions qui dominaient Paris. Elles éclatèrent dans la soirée, dès que l’occasion leur en fut fournie. Les théâtres, toujours

  1. Rapport publié par M. Aulard, Études et leçons sur la Révolution française, 2e série, 223-225.
  2. Lettres de Mme Reinhard à sa mère, 99. M. Reinhard était ministre des Relations extérieures, mais n’avait point participé au Coup d’État.