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de fainéans[1] ; » à la tête de tous les services, un personnel suspect, discrédité, désemparé, qu’il fallait conserver, faute d’un autre à lui substituer ; pour support, les cinq régimens de Paris avec l’ex-garde des Conseils et du Directoire, 6 000 à 7 000 hommes, en face d’une population de 800 000 âmes. Le Consulat n’avait ni le goût ni les moyens d’être un pouvoir à poigne ; pour vivre, il lui fallait se faire un gouvernement d’opinion, rallier les intérêts sans froisser les convictions. Il avait à ménager les élémens divers qui avaient concouru à son élévation : l’élément parlementaire, le parti des révolutionnaires nantis et des ex-Jacobins devenus modérés, qui formait les deux commissions législatives ; l’élément intellectuel et savant, qui avait son centre à l’Institut ; l’élément propriétaire et capitaliste, dont on attendait des secours ; il importait d’entretenir le dévouement des troupes, mais en évitant toute apparence de gouvernement par le sabre et de dictature militaire. Au bout de deux jours, Paris étant parfaitement calme, les troupes furent renvoyées dans leurs casernemens, où elles cessèrent même d’être consignées ; Paris reprit sa physionomie ordinaire. Bonaparte, ayant emménagé au Luxembourg avec Joséphine dans les anciens appartenions, des directeurs Gohier et Moulins, quitta l’uniforme d’officier général et reprit le costume civil, ample redingote où flottait son corps grêle et pour laquelle il affectionnait la couleur verdâtre, « chapeau rond, » en forme de tube évasé, à bords relevés ; c’était le costume dans lequel il s’était montré en public après le retour d’Egypte ; il le portait d’ailleurs très mal.

Une curiosité indicible s’attachait à lui, observait ses mouvemens, ses gestes, ses sorties. Il sortait peu, se bornant à quelques démarches moins officielles que privées, marquées de tact souverain et de discrétion. Le 21, après qu’il eut terminé au Luxembourg ses vingt-quatre heures de service et de garde, sa première visite fut pour l’Institut ; il se rendit à une séance particulière et y resta trois quarts d’heure, tranquillement assis parmi ses confrères, comme si aucun changement ne fût survenu dans les positions respectives. Ce fut par lui que Laplace apprit sa nomination au ministère. Les jours suivans, laissant aux généraux Berthier et Lefebvre le soin de rassembler les troupes au Champ de Mars et de leur faire prêter serment, il se réserva aux

  1. Lettre de Thomas Lindet en date du 8 thermidor an VII. Arnaud Montier, Robert Lindet, 367.