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favorisé, dans l’espoir d’ériger un gouvernement qui cesserait de traquer la fortune mobilière, bien ou mal acquise. Avec eux, il y avait comme un contrat tacite ; il existait vis-à-vis d’eux un engagement tout au moins moral d’en finir avec la taxe spoliatrice. C’était à ce prix seulement qu’ils consentiraient à des avances, faciliteraient des opérations de trésorerie, appuieraient un gouvernement réduit à se monter par souscriptions privées.

Les moyens de remplacer l’impôt progressif par une perception moins vexatoire et de rendement plus sûr furent immédiatement étudiés. Le ministre des Finances Gandin se mit à l’ouvrage, passa quarante-huit heures à son bureau et ne se coucha point avant d’avoir établi un projet qui substituait à l’emprunt forcé une taxe de vingt-cinq centimes ajoutés au principal des contributions foncière, mobilière et somptuaire. Le projet vint en discussion le 25 dans la commission des Cinq-Cents ; Cabanis l’appuya de sa haute autorité et prononça un discours fort curieux. On entendit ce républicain à principes, ce grand idéaliste, convenir franchement, quoique avec une nuance de mélancolie, que le gouvernement ne saurait se passer des financiers parisiens, bons ou mauvais, et attendait d’eux littéralement les moyens de vivre.

Après avoir brièvement condamné l’impôt progressif au nom de la science économique et des saines doctrines, Cabanis demande la permission d’insister sur une considération toute pratique. Par l’effet de la guerre et des malheurs publics, le peu d’argent liquide et d’affaires qui subsiste dans le pays s’est concentré à Paris, autour du gouvernement, dans quelques mains qu’il ne faut pas toujours regarder de trop près : « il s’ensuit que dans toutes les mesures de finance, il faut d’abord considérer leurs effets, soit matériels, soit d’opinion, sur les personnes qui ont de l’argent, des denrées ou du crédit à Paris… On peut avancer hardiment que, dans la situation où se trouve la République, un impôt qui causerait des dommages durables à l’agriculture et au commerce, mais qui ne serait pas un signal de sauve qui peut pour les capitalistes de Paris, aurait des effets moins funestes que celui qui, sans présenter les mêmes inconvéniens, attaquerait l’opinion de ces capitalistes, car les circonstances forcent le gouvernement de recourir à eux presque chaque jour… Il est assurément très fâcheux de se trouver dans la main d’hommes qui