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accueillante et cordiale ; modérant leurs passions, réprimant leur exclusivisme, il continuera longtemps de flatter leurs préjugés, leurs manies, leurs idolâtries ; il déclarera surtout leurs intérêts et leurs biens intangibles. Et désormais le mot d’ordre du Consulat provisoire, partout transmis, répété à Paris comme en province, sera celui-ci : pas de réaction.


IV

A Paris, la réaction se faisait à la parisienne, c’est-à-dire par des vaudevilles et des chansons. Toute crise politique retentissait alors sur le théâtre et s’y transposait en pièces de circonstance, productions hâtives, éphémères, fugitives, dont l’actualité était le seul mérite. L’événement de Brumaire fit éclore en ce genre toute une littérature instantanée. Dès le 21, un théâtre modeste, celui des Jeunes Artistes, avait donné le signal, en représentant « une Muette » intitulée le Premier Rayon de Soleil. Le 22, l’Opéra-Comique ou Théâtre-Italien, très fréquenté, joua les Mariniers de Saint-Cloud, apothéose joviale de « la journée de délivrance. » La salle était comble, et le général commandant de Paris, Lefebvre, sans penser à mal, avait pris place dans une loge avec ses officiers. La pièce alla aux nues ; elle enchanta par une prodigalité de flatteries à l’adresse de Bonaparte, mais aussi par les traits dont elle criblait les députés chassés, leur secte et leur clique. Le succès fut grand et prit les proportions d’une manifestation contre-révolutionnaire. Le branle étant donné, tous les théâtres suivirent, tous mirent en préparation des pièces anti-jacobines, anti-parlementaires.

Le gouvernement consulaire s’émut aussitôt et intervint par sa police. Comme il fallait tempérer la passion publique sans la heurter de front, comme il restait entendu que le pouvoir nouveau était avant tout tolérant et libéral, Fouché usa d’abord de moyens fort doux. Au lieu d’interdire la pièce, il essaya d’amener les administrateurs de l’Opéra-Comique à y renoncer bénévolement, à immoler leur succès d’argent sur l’autel de la concorde. Il leur écrivit une lettre où il s’élevait à de hautes et judicieuses considérations à propos d’un impromptu : « Quand toutes les passions doivent se taire devant la loi, quand nous devons immoler au désir de la paix intérieure tous nos ressentimens, et que la volonté de le faire est fortement exprimée par le