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religieuse, mais deux idées différentes agissaient en lui, l’une toute mondaine et l’autre à demi philosophique, la perte de la respectabilité, la dégradation morale. Le poète est humilié à la pensée de ces vulgaires joies, savourées avec de vulgaires compagnons, au souvenir de ce vin grossier ou frelaté dont il s’est grisé. Il se sent diminué, rapetissé, souillé. L’odeur de la débauche s’attache à ses mains, à ses vêtemens ; elle l’obsède et lui donne la nausée de lui-même. Une étrange veulerie stupéfie son imagination, paralyse sa volonté. Alors il est pris d’une nostalgie de vertu qui s’associe avec l’autre nostalgie, celle du home rustique où, certain jour, il y a quinze ans, il a laissé trois enfans endormis dans leurs berceaux.

Ce n’est pas une chose très noble que le vague malaise, moitié physique et moitié mental, des lendemains de fête, et pourtant c’est avec cette pauvre étoffe qu’est faite l’exquise mélancolie des Sonnets, cette douceur berçante qui les avait fait surnommer les « Sonnets sucrés. » Il en est de sourians et de navrés, de subtils, d’ardens et d’ingénus ; il en est qui caressent, ou qui prient, d’autres qui se plaignent et qui pleurent ; il en est aussi qui moralisent et qui prêchent tendrement, familièrement, sur le ton du frère aîné grondant son cadet. Quelques-uns, — parmi ceux qui s’adressent à la dame brune, — font songer à la cavalière impertinence d’Alfred de Musset : encore se mêle-t-il une vague indulgence à leur railleuse sévérité. Je ne me rappelle qu’un seul sonnet qui soit vraiment irrité. Voici la traduction qu’en donne M. Fernand Henry :


Las du monde, j’aspire au repos éternel,
Quand je vois le talent réduit à la misère,
La nullité partout triomphante et prospère,
La loi qui se parjure à la face du ciel ;
L’honneur prostituant son éclat immortel,
De vierge la Pudeur se faisant adultère,
La Justice exilée aux confins de la terre,
Les abus tortueux d’un pouvoir criminel ;
L’Art qu’avec ses deux mains l’Autorité bâillonne,
La Sottise, en bonnet, qui doctement ânonne,
Le cœur dans le devoir toujours moins affermi ;
Le Bien, captif, ayant le Mal pour capitaine ;
Oui, voyant tout cela, que je mourrais sans peine
Si je pouvais mourir sans perdre mon ami !