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chemin de fer au pied des plateaux abyssins, le cabinet de Londres reconnaîtrait ce fleuve comme frontière occidentale de l’Ethiopie ; on parlait même d’une cession de Kassala ! Tant de longanimité et des dispositions si bienveillantes ne sont, il faut le craindre, qu’un trompe-l’œil ; céder quoi que ce soit, sans y être contrainte,. n’est guère dans les habitudes de la politique anglaise : si, réellement, le cabinet de Londres reconnaissait aujourd’hui la frontière du Nil à l’empire d’Ethiopie, peut-être ne serait-il pas téméraire d’en induire son intention de tout reconquérir en bloc demain. Pendant que le drame s’accomplit ailleurs, ici nous assistons à l’entr’acte ; mais, quand l’heure sera venue, attendons-nous à ce que la toile se lève sur ce nouvel acte tragique dont le général Baratieri, anticipant sur sa vengeance, a savouré d’avance le dénouement. En tout cas, l’Ethiopie et ses amis seraient sages de profiter du répit que les circonstances actuelles leur apportent, pour se préparer aux éventualités de l’avenir. En politique, il suffit souvent de prévoir pour empêcher.


V

Si, dans un avenir plus ou moins proche, les événemens, qu’un passé déjà long a peu à peu préparés, s’accomplissent, si l’indépendance de l’Ethiopie est un jour menacée, la France ne saurait sans mentir à ses traditions, sans trahir ses intérêts les plus immédiats, en rester la spectatrice indifférente. L’autonomie de l’Ethiopie est l’une des maximes essentielles de notre politique africaine. Nos intérêts généraux dans le monde, nos intérêts particuliers sur la côte orientale de l’Afrique, nous feraient une nécessité de sauvegarder l’intégrité de l’empire du Négus, si le respect que nous tenons à honneur de professer pour la vie des peuples civilisés ne nous en faisait un devoir ; et, déjà en 1865, Guillaume Lejean écrivait : « La chute de l’Abyssinie serait la ruine complète de notre influence dans l’Est-Afrique[1]. » A mesure que les événemens se sont précipités et que les nations européennes ont partagé les territoires africains, l’opinion de Lejean s’est imposée avec plus de force à nos différens gouvernemens comme la règle directrice de nos relations avec le Négus. Jamais une pensée de conquête, un désir de domination ne s’est mêlé à

  1. Lejean, Ouvrage cité, p. 230.