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plus tard pour le trio[1]. » De même, la pièce symphonique intitulée : Une Nuit sur le Mont-Chauve, exécutée aux concerts de l’Exposition universelle de Paris en 1889, fut inspirée par une légende populaire de la Petite-Russie.

Ce ne sont là que les abords on les détails de l’œuvre de Moussorgski. Au centre, au fond, cette œuvre est lyrique et dramatique. Elle comprend un grand nombre de lieder ou de poèmes chantés (chansons ou dits populaires) ; un cycle de mélodies pour piano et chant : la Chambre d’enfans, et deux opéras, Boris Godounof et Khovantchina.

Moussorgski, nous l’avons vu, ressentit de bonne heure un attrait dominant pour la musique représentative. Ce qu’il aimait d’instinct ; ce qu’il cherchait, de ses doigts d’enfant, sur les touches blanches et noires, ce n’était pas les sons eux-mêmes et pour eux-mêmes, pour la beauté spécifique de leur succession ou de leur mélange : c’était les personnages familiers que les sons évoquaient devant lui : Kotchéi, Baba-Yaga, le tsarévich Ivan. Plus tard, son mot sur Schumann, sur le Schumann des symphonies : « Ici commencent les mathématiques, » trahit encore son peu de goût pour la musique pure. Nous pouvons donc appeler musicien réaliste, celui qui, dans la musique, préféra toujours à la mystérieuse ouvrière d’idéal, l’interprète, ou plus strictement l’imitatrice de la réalité.

Parmi les sujets d’opéras, Moussorgski devait infailliblement choisir, comme plus réels et plus concrets, des sujets historiques et nationaux. Aussi bien, depuis Glinka, cette prédilection est devenue un trait commun aux artistes de sa race. Borodine parlait au nom de ses camarades quand il a parlé ainsi : « Nous autres Russes, nous aimons à retremper notre patriotisme aux sources mêmes de notre histoire et à voir revivre sur la scène les origines de notre nationalité. » Le musicien de Boris Godounof et de Khovantchina s’est inspiré de cet amour. Il a, dans ses deux opéras, chanté le passé de son étrange, mystique et sauvage Russie. Politique et religieux, populaire et soldatesque, le drame de Khovantchina (le complot des Khovanski) met aux prises les partis ou les sectes qui se disputèrent l’influence pendant la minorité de Pierre le Grand et la régence de la tsarevna Sophie. La foule — je dirais volontiers, à l’antique : le chœur — qui

  1. M. d’Alheim.