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et elle toussait… Non ! pas l’histoire de l’ogre, Niania, je n’en veux plus. Une autre, une drôle, dis ! » A première lecture, on croirait que la musique écrite sur ces paroles est à peine de la musique. Elle nous déconcerte ni tout, par tous les élémens qui la composent, si tant est qu’elle soit composée. Par le rythme d’abord, qui change, nous l’avons dit plus haut, vingt-trois fois en cinquante-trois mesures. Plus encore par l’incertitude de la mélodie et de la tonalité, par l : i hardiesse, la mobilité et le hasard apparent des harmonies. Entre les notes simultanées comme entre les notes successives, tous les rapports accoutumés, dans l’espace et dans la durée, semblent rompus. Certes, « cela ne chante pas. » Mais comme cela parle ! Avec quelle vérité, faite précisément d’une incohérence que le musicien réaliste, au lieu de la régler, n’a cherché qu’à reproduire. « Réaliste » n’est pas assez dire. C’est d’ « impressionniste » ou de « pointilliste » qu’on pourrait, en jargon de peintre, traiter ici le musicien. Sa musique n’est pas faite de lignes, mais de taches et de points, de notes brèves et de courts silences, d’accens, d’intonations, qui d’abord nous étonnent, puis nous ravissent par le naturel et la fidélité.

Une autre scène : Dans le coin, met aux prises la « mania » courroucée et l’enfant. Si la musique ici ne saurait être plus vraie que tout à l’heure, elle l’est au moins d’une plus profonde et plus touchante vérité. « Polisson, va ! Mon fil, qui l’a pris ? Et mon aiguille à tricot ? Et mon bas, qui l’a taché d’encre ? Dans le coin, tout de suite. » L’invective éclate, se déchaîne sur un motif qui gronde et roule, un peu comme celui de la querelle des cigarières au premier acte de Carmen. À ce dramatique début une période lyrique succède. L’enfant se disculpe en pleurant. La musique alors prend un véritable tour mélodique. Elle se gonfle comme ce cœur si petit, mais déjà gros de douleur. La traditionnelle réponse de l’enfant : « C’est le chat ! » est un miracle d’intonation. Plus exquise encore est la modulation où s’épanouit la voix, sur des paroles de câline assurance et de justification plaintive : « Et Michenka est sage ! Et Michenka est brave ! » Détails, dira-t-on ; mais détails précieux, et qui font les petits chefs-d’œuvre. « Et Michenka est sage… Nounou, elle, est laide à faire peur ; nounou a sa coiffe de travers. » Mouvement, valeurs, notes liées et caressantes, ou détachées et sèches, tout change, selon que l’enfant parle de lui-même, avec complaisance, ou de sa nourrice, avec dépit. et la chanson dolente, au