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nombre de ces criminels, et telle fut la rigueur de leur répression, que, longtemps après, dans le champ où l’on avait enterré leurs cadavres, le sol, engraissé de leur sang, produisait des melons au milieu de l’hiver.

Mais il n’y a point de police si vigilante qu’on ne puisse parvenir à la dépister. Plus habiles ou plus heureux que leurs confrères, quelques lettrés trouvèrent le moyen d’enfouir en lieu sûr, et ainsi de transmettre à leurs descendans, les monumens les plus vénérables de la littérature chinoise des âges passés. C’est à eux que nous devons, notamment, de pouvoir connaître aujourd’hui les cinq livres de Confucius, les sept livres de Mencius, des fragmens de Hsun-Tsu, et, à défaut des écrits authentiques du grand Lao-Tsu, l’ouvrage de son disciple et continuateur Chuang-Tsu.

Les cinq livres de Confucius, qui datent du vie siècle avant l’ère chrétienne, sont, en majeure partie, une compilation d’ouvrages plus anciens. Ils portent les titres de Livre des Rites, Livre des Changemens, Livre du Printemps et de l’Automne, Livre de l’Histoire, et Livre des Odes. Les deux derniers sont, pour nous, à beaucoup près, les plus intéressans. Le Livre de l’Histoire est une longue chronique de batailles et de conquêtes, écrite tour à tour en prose et en vers, et entremêlée de réflexions morales, de contes de fées, de beaux discours à la manière d’Hérodote ou de Tite-Live ; le Livre des Odes est un recueil de trois cents petits poèmes, ballades, élégies, fables, épigrammes, toutes œuvres d’une forme infiniment moins parfaite que celles des poètes des siècles suivans, mais précieuses eu raison même de leur antiquité, et qui, mieux encore que les récits du Livre de l’Histoire, nous renseignent sur la vie et les mœurs primitives de la Chine. Quant à la doctrine religieuse et morale de Confucius, elle nous est exposée dans les sept livres du célèbre Mencius, qui peut être considéré comme le Platon du Socrate chinois, mais surtout dans une série de quatre livres anonymes, dont le caractère plus impersonnel et plus familier ferait songer plutôt aux Entretiens mémorables ou aux Économiques.

Aussi bien serais-je tenté de poursuivre la comparaison, et, ayant évoqué à propos de Confucius le nom de Socrate, de rapprocher du sophiste Parménide le plus fameux des sophistes chinois, Lao-Tsu, qui passe pour avoir été le contemporain de Confucius et son adversaire. A l’opposé de Confucius, qui n’était guère qu’un moraliste, Lao-Tsu semble avoir été un subtil et passionné métaphysicien. Il a fondé une doctrine, nommée le Tao, et qui, apparemment, n’était point