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loi rigoureuse que l’homme peut devenir membre d’une société régulière et organisée. »

Tels sont les principaux des vieux écrivains chinois dont l’œuvre, pieusement cachée par d’intrépides lettrés, a survécu au décret du Premier Empereur, en compagnie de quelques traités de médecine et d’agriculture. Énorme paraît être, en revanche, le nombre des ouvrages qui ont péri : car on cite des centaines de noms d’auteurs, fameux en leur temps, dont pas une seule ligne ne nous est parvenue. Et je dois ajouter que, si le décret du Premier Empereur n’a pas entièrement réussi à supprimer toute trace de la littérature chinoise du passé, il semble du moins avoir eu une action très heureuse sur la littérature des siècles suivans. Moins de cent ans après la destruction des livres, tous les genres littéraires florissaient en Chine avec un éclat et une variété admirables ; la poésie, notamment, sans cesse enrichie de mètres nouveaux, s’élevait bien au-dessus de la banale platitude du Livre des Odes ; l’histoire, la lexicographie, les sciences s’organisaient ; et il n’y avait point jusqu’à la philosophie qui, avec les premiers bouddhistes, n’entrât dans des voies très différentes de celles où l’avaient jadis conduite Confucius et ses adversaires : sans compter que la destruction des livres fournit aux érudits, depuis vingt-deux siècles, une précieuse occasion de déployer leur zèle, leur sens critique, et leur combativité, car la moindre ligne des auteurs anciens fait, aujourd’hui encore, en Chine, l’objet de discussions et de querelles passionnées. C’est du décret du Premier Empereur que date, en vérité, ce grand développement de la littérature chinoise qui s’est poursuivi sans interruption jusqu’à l’époque présente, et dont un éminent sinologue anglais, M. Herbert Giles, a entrepris de nous raconter l’histoire, dans un des volumes de la collection des Littératures du Monde.

Malheureusement M. Giles, avec toute sa science et avec maintes qualités littéraires des plus remarquables, manque tout à fait d’idées générales : en quoi l’on pourrait croire qu’il a subi l’influence des écrivains chinois, si son livre ne nous montrait, au contraire, chez la plupart de ceux-ci, un esprit essentiellement philosophique, porté d’instinct aux spéculations abstraites et aux larges systèmes. Mais le fait est que, faute d’avoir des idées générales, M. Giles n’a point su donner à son Histoire de la littérature chinoise l’unité et la suite d’une véritable histoire. Au lieu de nous indiquer, par quelques exemples typiques, les caractères originaux de la littérature chinoise, la marche qu’elle a suivie à travers les âges, et l’inévitable série de ses transformations, il s’est borné à placer devant nous, l’un après l’autre, dans