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croisaient. D’après les unes, les Italiens auraient protesté contre la présence des navires russes auprès des leurs ; d’après les autres, les Russes, en se retirant, auraient voulu marquer leur désapprobation de ce qui leur semblait être chez nous une politique nouvelle. Rien de plus invraisemblable que la première de ces explications, si ce n’est la seconde. Les Italiens n’ont aucun mauvais sentiment à l’égard des Russes, et nous sommes persuadés que, s’ils trouvaient une occasion d’échanger avec eux des témoignages de sympathie, comme ils viennent de le faire avec nous, ils la saisiraient volontiers. En soi, la présence de navires russes à côté des leurs dans la rade de Toulon n’avait rien qui pût les choquer ; mais elle changeait, — et nous aurons à revenir sur ce point, — la nature de la manifestation que, de part et d’autre, on était convenu de faire. Il s’était agi jusque-là d’une manifestation franco-italienne : l’introduction d’un élément nouveau, considérable par le nombre des navires qui le représentaient, donnait une signification un peu différente aux fêtes qui se préparaient. Il est naturel que les Italiens en aient été frappés. Pour ce qui est des Russes, s’imaginer qu’ils auraient voulu, d’abord par l’envoi, puis par le brusque retrait de leurs navires, montrer qu’ils désapprouvaient notre rapprochement avec l’Italie, est une idée tellement absurde qu’on ne saurait la prendre un seul moment au sérieux. C’est un principe admis dans tous les systèmes d’alliances existant aujourd’hui en Europe qu’un gouvernement engagé dans un de ces systèmes, que ce soit la Triple ou la Double Alliance, reste parfaitement maître de sa politique à l’égard des autres puissances, dans la mesure où elle ne peut pas nuire à son ou à ses alliés : à plus forte raison, lorsqu’elle ne peut que leur être utile. La Russie ne se gêne pas plus pour resserrer ses rapports avec l’Allemagne que l’Allemagne pour resserrer les siens avec la Russie. Et comment pourrait-il en être autrement, dès que toutes ces alliances ont la paix pour objet ? Si la politique d’un gouvernement quelconque devait avoir pour conséquence de l’éloigner violemment d’un autre, on comprendrait que son allié s’en émût, parce que la guerre pourrait en résulter ; mais si, tout au contraire, sa politique le rapproche d’un autre au lieu de l’en éloigner, c’est une garantie de plus pour le maintien de la paix, et nul dès lors ne peut s’en inquiéter. Cela est vrai d’une manière générale, et l’est plus encore en ce qui concerne les rapports particuliers de l’Italie et de la France. La Russie ne peut que gagner à ce qu’ils s’améliorent toujours davantage. Aussi sommes-nous convaincus qu’elle aurait envoyé avec empressement ses vaisseaux dans la rade de Toulon, ou qu’elle les y aurait