Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/963

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deviendrait de sa part complète dès que les circonstances le permettraient, — mais pour le moment très effectif. Au reste, nous ne pouvons parler qu’avec réserve de cet arrangement comme de ceux qui l’ont précédé, ou plutôt de ce projet d’arrangement sino-russe, pour la bonne raison que nous ne le connaissons pas. Il n’a pas été publié, et lord Lansdowne en a exprimé un jour le regret, car peut-être aurait-il provoqué moins de susceptibilités et de préventions s’il avait été mieux connu. Le principe même de cet arrangement ne saurait être contesté. La Russie ne pouvait pas évacuer la Mandchourie purement et simplement, ni du jour au lendemain ; elle avait le droit incontestable de s’assurer certaines garanties. Reste à savoir si elle n’était pas allée plus loin, et si de son arrangement avec la Chine ne résultait pas une prise de possession déguisée. Autour de cet arrangement, s’est livrée une bataille diplomatique à laquelle on a apporté de toutes parts une extrême activité. Non seulement les puissances se sont divisées, mais les autorités chinoises en ont fait autant, et on a vu les négociateurs de Tientsin, Li-Hung-Chang en tête, conseiller avec insistance au gouvernement de Si-Ngan-Fou de ratifier le traité, tandis que les vice-rois du centre de l’Empire, et notamment ceux du Yang-tsé, y faisaient une opposition passionnée. Ainsi, deux partis en Chine, deux partis parmi les puissances : il s’agissait de savoir lequel l’emporterait. Pendant plusieurs semaines le résultat est resté incertain, et l’ardeur des combattans n’en a fait qu’augmenter.

Enfin la date du 26 mars, qui avait été assignée comme dernier délai au gouvernement chinois, a été atteinte sans que le traité fût ratifié. Il ne devait pas l’être en effet, et le gouvernement chinois, au lieu de se contenter d’un simple rejet, a lancé un édit pour confirmer et pour expliquer sa résolution. Il serait d’ailleurs assez difficile de dire s’il a cédé surtout à ceux de ses hauts fonctionnaires qui s’opposaient à la ratification, ou s’il a obéi à la pression exercée sur lui par l’Angleterre et par le plus grand nombre des puissances. On ne saura sans doute que plus tard laquelle de ces influences a été la plus forte sur son esprit et a déterminé sa volonté longtemps vacillante ; mais, que ce soit celle-ci ou celle-là, il n’en est pas moins déplorable que les puissances se soient divisées en deux camps, et qu’elles aient chargé le gouvernement chinois de prononcer entre elles. Aucune n’avait assez d’intérêts en Mandchourie pour expliquer l’opposition qu’elles ont toutes faite aux progrès de la Russie dans cette province ; aucune, pas même le Japon, qui ne peut en avoir qu’en Corée, et qui ferait mieux de chercher avec la Russie un terrain de conciliation qu’un terrain de combat.