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indispensablement à une bataille dont il mouroit d’envie ; mais rien n’est plus beau à luy de voir avec quelle tranquillité il écouta le sentiment des officiers généraux, et avec quelle raison et quelle docilité il se rendit à leur sentiment, après nous avoir déclaré que la gloire ne lui estoit chère que par rapport au Roy et à l’Estat, et que chacun parla librement[1]. »

Ce n’en était pas moins un gros échec que cette retraite sans combat d’une armée commandée par un maréchal de France et un prince du sang. Marlborough en profita immédiatement pour mettre le siège devant plusieurs places dont la chute paraissait certaine. On était mécontent à Versailles, et l’expression de ce mécontentement se retrouvait dans les lettres et les dépêches qu’on recevait à l’armée. Mais, à l’armée, où l’on se rendait mieux compte des difficultés, on rejetait sur Versailles une partie de la responsabilité, et ce n’est pas sans étonnement que nous avons trouvé sous la plume du Duc de Maine, ce bâtard si soumis, même à sa femme, un jugement dont la liberté et les termes mêmes sentent déjà l’esprit du XVIIIe siècle. « Je comprends à merveille, écrivait-il à Chamillart, que l’honneur souffre un peu de voir un siège entrepris par les ennemis, dans le temps que Monseigneur le Duc de Bourgogne est à la teste d’une armée de Sa Majesté. Il s’en faut pourtant bien que ce soit un affront, et, comme c’est toujours l’Estat qu’on sert et que le Roy lui-mesme n’en est que son premier serviteur, l’on ne doit pas faire une attention totale à l’agrément particulier d’un chef quel qu’il soit ou le mettre en estat d’empescher les choses qu’on ne veut pas voir arriver, et voilà ce qui est fort douteux présentement[2]. »

Le Roi était plus sensible, sinon à l’agrément, du moins à l’honneur de son petit-fils que ne le paraissait être le Duc du Maine. Jugeant que la campagne était perdue, il le rappela quelques jours après, pour lui éviter l’affront de voir Marlborough s’emparer sous ses yeux de toutes les principales places des Pays-Bas. Le Duc de Bourgogne quitta l’armée le 6 septembre, et, après une nouvelle, mais non moins courte entrevue avec Fénelon à Cambrai, il fut de retour à Versailles le 8, ayant par sa diligence gagné un jour, car on ne l’attendait que le lendemain. Nous avons déjà raconté qu’il se rendit chez le Roi,

  1. Dépôt de la Guerre, 1555. Boufflers au Roi, 24 août 1702. D’Artagnan à Chamillart, 23 août 1702.
  2. Dépôt de la Guerre, 1555. Le Duc du Maine à Chamillart, 20 août 1702.