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n’y est pas même prononcé. Nous abrogeâmes les peines qui les frappaient et les remplaçâmes par d’autres, prononcées contre ceux qui porteraient atteinte à la liberté du travail. La loi pénale procède toujours ainsi ; elle n’énonce pas ce qui est permis, mais seulement ce qui est défendu : tout ce qui n’a pas été formellement défendu et puni reste permis.

L’atteinte à la liberté du travail peut être matérielle, résulter de la violence, des menaces : nous la punîmes d’un emprisonnement de six jours à trois ans et d’une amende de seize à trois mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement, lorsqu’elle était un fait purement individuel. Lorsqu’elle était exercée en exécution d’une entente formelle entre plusieurs, elle nous parut plus coupable, et nous accordâmes au juge la faculté de placer le condamné sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins, cinq ans au plus (art. 414 et 415). En cela, nous nous conformions aux précédons les moins contestés : l’article 109 du Code pénal punit d’un emprisonnement de six mois à un an le fait d’avoir empêché, par attroupemens, voies de fait ou menaces, plusieurs citoyens d’exercer leur droit de vote ; si ce crime a été commis par suite d’un plan concerté, l’article 210 prononce la peine du bannissement.

À côté des atteintes matérielles par la violence ou les menaces à la liberté du travail, et qui peuvent se rencontrer ailleurs qu’en des coalitions, il est des atteintes moins directes, en quelque sorte professionnelles, plus morales que matérielles, spéciales aux coalitions. Ainsi, des ouvriers s’entendent pour refuser leur travail, mais certains camarades ne consentent pas à les imiter ; les coalisés se rendent à la porte du chantier et, quand ils voient arriver les réfractaires, s’écrient : « Camarades, retirez-vous, le chantier est interdit, il est défendu d’y travailler. » Si les camarades passent outre, ils publient leur interdit, affichent le nom des réfractaires et la liste des maisons noires, c’est-à-dire des maisons où vivent des ouvriers continuant à travailler dans les usines frappées d’interdit. Ou bien ils imitent d’une façon quelconque ce qui se passa à Sens en 1842. Les menuisiers étaient divisés en deux groupes, les Compagnons du Devoir et ceux de la Liberté, surnommés les gavots. Les Compagnons du Devoir cessent le travail, ceux de la Liberté le continuent. Les premiers hissent sur un âne un des leurs et le font passer et repasser devant l’atelier où le travail continue en s’écriant : « Hue ! hue,