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revêtus de fort beaux habits et on leur a fait grand honneur, mais on les a condamnés à l’immobilité à l’âge où le corps a besoin d’ébattement, au silence à l’heure où ils aimeraient aller jouer au « pince-mérille » ou au « croq-madame, » — et ils ont bonne envie de pleurer. C’est assurément quelque chose que d’être peint par Velasquez, par Terburg, par Mignard, mais, sur toutes ces bouches maussades ou souriant sous peine de verges, on croit lire le mot de Louis XIII enfant à M. de Souvré : « J’aimerais mieux qu’on ne me fît point tant de révérences et d’honneurs et qu’on ne me fît point fouetter. »

Ces enfans sont rarement réunis à leurs parens. On fait, d’une part, le portrait du père ou de la mère ; d’autre part, s’il le faut pour l’envoyer à quelque fiancé lointain, on fait le portrait de l’enfant. Mais ils restent séparés les uns des autres dans l’art comme ils le sont dans la vie. C’est l’époque où le fils dit : « Monsieur, » à son père, et où la fille termine ses lettres en le priant « d’agréer ses sentimens de très obéissante servante. » L’enfant, quel que soit son rang, compte peu dès qu’il ne s’agit plus de représentation officielle. C’est l’époque où le pauvre petit Louis XIV, déjà rassasié de flatteries en tant que roi, couchait dans des draps si usés que son valet de chambre le trouvait plusieurs fois « les jambes passées à travers, à cru sur le matelas. » Le bébé ne tenait aucune place appréciable dans la famille. C’est un décisif exemple que celui, rapporté ici même, de la Duchesse de Bourgogne demeurant vingt-trois jours après ses couches sans demander à voir son fils et ne faisant mention de lui dans ses lettres à sa grand’mère, que pour noter qu’il a la « galle. » Dans tous les portraits de cette époque, les enfans sont isolés de leurs parens autant qu’ils sont apprêtés et solennels.

Au siècle suivant, le règne du fouet diminuant, les poses perdent de leur solennité. Mais elles gardent leur apprêt. Autant qu’elles étaient majestueuses, il convient dorénavant qu’elles soient « sensibles. » Tout d’abord on conduit le modèle à la campagne ou tout au moins dans un parc. Ou lui donne pour jouer un mouton, un épagneul, une chèvre, une marmotte, des oiseaux, des cartes, un toton, et tout ce qui peut servir de métaphore à Mme Deshoulières. On remplit ses mains de fruits, de fleurs. Mais l’apprêt subsiste, les mains ne sont réellement pas occupées à leur besogne. Les yeux regardent invariablement le spectateur. C’est miracle si, sans baisser les yeux sur son oiseau,