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petite main s’efforce de saisir plus gros qu’elle et y parvient de plus en plus. Chez le vieillard, la grande main s’efforce à retenir moins gros qu’elle et y parvient de moins en moins. Dans le petit corps appliqué à une trop grande besogne, tout muscle, agit, tout est mis en manœuvre : il y a plus de vie que de matière. Dans l’autre, au contraire, la machine ne fonctionne pas à plein, une musculature puissante s’épuise sans résultat, pour un minime objet, et, dans le geste qui manque son but, il y a plus de matière et moins de vie. Qu’un vieillard, de ses grandes mains tremblantes, ne puisse tenir un verre, nous en serons attristés : c’est une déchéance. Mais qu’un enfant parvienne malaisément à saisir ce même verre dans sa petite main et fasse des efforts inouïs pour y parvenir, c’est un des spectacles les plus plaisans pour les yeux : c’est une espérance. Le bébé peut être risible : il n’est pas ridicule. On peut l’aider : on ne peut pas le plaindre, car le temps travaille pour lui ; les doigts s’allongeront, le muscle extenseur s’affermira, la main agrandie se refermera sur le verre pour le moment incoercible, et le petit être, impuissant aujourd’hui, y boira demain, à longs traits, la vie.

Ce qui remplit ses yeux, ce n’est pas seulement l’étonnement de l’explorateur : c’est aussi la vision du poète. L’enfant est un poète, en ce qu’il se contente de peu pour imaginer beaucoup : un tas de sable est une montagne ; une douzaine de brindilles sont une forêt ; une cupule de gland, un navire. C’est ainsi qu’il se fait des jouets de choses où nous ne voyons aucun élément de plaisir. Ceux que nous inventons pour lui et où nous déployons toutes les ressources de notre imagination ne lui plaisent jamais tant que ceux qu’il crée lui-même avec rien, parce que son imagination dépasse de beaucoup la nôtre. Il y a, au Petit Palais, une série de vitrines remplies des engins les plus ingénieux construits par le savant et décorés par l’artiste pour amener sur les lèvres de ces petits êtres cet « allongement de la fente buccale, » que nous autres ignorans appelons : sourire. Quelques-uns valent plusieurs centaines, peut-être plusieurs milliers de francs. Si quelque misérable passait devant ces vitrines, il aurait, peut-être, en pensant à ces enfans riches, un sursaut d’envie :


Rien que dans leurs jouets que de pain pour les miens !


Mais cette jalousie serait de la naïveté. Croit-on que ces