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toujours nécessaire au point de vue intellectuel, peut-on dire, au point de vue moral, qu’il soit jamais inutile ? Laisser croire à l’enfant que quelque chose au monde s’acquiert sans peine, ne serait-ce pas lui faire un tort plus grand encore que d’encombrer sa mémoire de notions douteuses sur l’emplacement de Tolbiac ou sur Attila ? ne serait-ce pas le tromper sur ce qui est le plus important à connaître : la vie ? Les bénévoles auteurs de tous ces projets, qui remplacent le travail par le jeu, ont peut-être oublié de regarder, au fond du Cloître vert, à Florence, dans la chapelle des Espagnols, l’austère figure de la Grammaire peinte par Taddeo Gaddi. Ils y auraient vu une femme montrant à plusieurs petits enfans d’une main un fruit d’or, récompense des sciences délicieuses, de l’autre une porte d’une étroitesse extrême, aussi difficile à franchir que les barreaux d’une grille, et par où, pour acquérir ce fruit, il faut nécessairement passer.

La Porte étroite du Cloître vert, c’est l’enseignement esthétique de cette loi peut-être trop exclusive dans l’éducation au moyen âge, peut-être trop oubliée aujourd’hui, que rien ne s’acquiert sans labeur et que le labeur n’est pas un plaisir. Taddeo Gaddi l’a sans doute exagérée, mais entre l’idée du moyen âge : l’enfant est naturellement vicieux et le but de l’éducation est de réformer sa nature, et l’idée de Jean-Jacques Rousseau : l’enfant est naturellement bon et le but de l’éducation est de suivre sa nature, n’y a-t-il pas une vision moyenne qui nous serait fournie par les peintres modernes, si nous savions les consulter ? Tandis que les Hugo von der Goes ou les Cuyp, tenant les enfans pour naturellement malappris, les posent et les font paraître raides et gourmés, tandis que Greuze les montre imperturbablement gracieux, vertueux, tendres, sensibles, affectueux, nos maîtres actuels en les peignant indifféremment tels qu’ils se présentent à leurs yeux : de petits explorateurs, de petits lutteurs s’entraînant, selon leurs moyens naïfs, dans la lutte pour la vie, de petits sauvages cherchant à profiter de notre civilisation : en un mot ni bons, ni méchans, mais désireux de vivre, désireux de grandir, désireux de se manifester et en quelque sorte, comme les hommes mêmes, affamés.., ne nous ont-ils pas montré la voie ? Et, si telle était la nature de l’enfant que devrait être le rôle du maître ? La suivre comme le voulait Rousseau ou bien, comme le voulait le moyen âge, la réformer ? Ou ne serait-il pas plutôt de la suivre pour la réformer ou, pour la diriger, de commencer par lui obéir ?