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du second Empire. L’enfant a tenu si peu de place dans l’admiration du monde qu’on n’appelait presque jamais un grand artiste pour fixer cette admiration. On préférait lui donner à peindre la tête du père et on a vu des hommes fort inesthétiques, comme M. Bruyas, poser vingt fois devant les plus grands peintres du temps[1], tandis que des milliers de beaux enfans passaient, dont on n’a pas gardé le souvenir. Quand on les a peints, ou les a peints seuls. Depuis Mme Vigée-Lebrun, jusqu’à nos jours, on les trouve isolés dans l’art comme dans la vie.

Mais voici qu’un temps nouveau est venu pour eux. Loin d’être écartés de la vie des grandes personnes, ils semblent en être devenus le centre et les Rois. Le Baby-Worship a remplacé les cultes anciens. Bien des gens qui n’oseraient point faire pour eux-mêmes la dépense d’un portrait de Maître, doutant s’ils sont assez beaux pour cela et sûrs de ne pas être assez illustres, appellent volontiers le Maître pour peindre leur enfant, qui peut-être deviendra illustre et, dans tous les cas, est gracieux. Ils ont raison, car, eux, les pareils, ils sont la réalité : l’enfant est l’espérance et il vaut toujours mieux faire le portrait de l’espérance. En même temps, tête grise et tête blonde se sont rapprochées. Les plus fameux des récens portraits d’Enfans : Pasteur et sa fille par M. Bonnat, Alphonse Daudet et sa fille par M. Carrière, M. Gabriel Seailles et sa fille par M. Carrière, Mme X… et ses enfans, au Luxembourg, par M. Carolus-Duran, Mme Sanders et ses enfans au dernier Salon, par M. Courtois, et aussi les scènes de famille de M. Munkacsy, nous montrent, qu’en ces dernières années, les peintres ont réuni les enfans à leurs parens, comme ils le faisaient au vieux temps de Franz Hals, de Van Ostade, de Cornelis de Vos. Blottis contre leur père ou leur mère, les enfans de ce temps ne ressemblent pas à ceux qui les ont précédés. Leurs regards sont plus graves, leurs gestes plus confians, leur attitude plus simple. On parlait peut-être plus de la vie de famille autrefois : mais si nous ne nous laissons pas leurrer par la littérature et si nous regardons les tableaux, nous y verrons que jamais les pères n’ont été plus qu’aujourd’hui les camarades de leurs enfans. Un peu tristes, un peu soucieux, un peu émus par l’inconnu des jours qui se préparent, ils sentent les uns et les autres qu’une redoutable

  1. Au musée de Montpellier.