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Ne connaît-il pas déjà la saveur du sacrilège, — puisqu’il a violé la vestale Rubria au pied des autels ? Il en veut accomplir un plus prodigieux, il rêve de revenir à ce temps primitif où s’unissaient les hommes et les déesses. Les exploiteurs qui l’observent, s’inquiètent ; les prêtres cachés dans les ventres des idoles l’appellent ; ce cri menaçant, qui le terrorise : « Néron — Oreste, » vibre dans le sanctuaire. Éperdu, il recommence à implorer la déesse, et la mortelle s’incline vers lui. Le faux oracle lui crie de s’enfuir ; Astérie murmure des mots d’amour. Et quand ses lèvres rencontrent les lèvres du sacrilège, le mensonge s’écroule, la supercherie éclate :

— Malheur à toi, tu es femme !

Furieux, il lance une torche allumée dans la bouche de l’idole, qui hurle de douleur, appelle sa garde, veut qu’Astérie périsse dans la fosse aux vipères et que Simon vole, comme Icare, à travers les airs.

En opposition à Simon, à ses prêtres, à sa sorcière, Phanuel et Rubria représentent la pureté du christianisme croissant, imprégné des hautes leçons du Fils de l’Homme, prêt à réparer par ses martyres les avaries de la conscience dégénérée. De même qu’Astérie, la magicienne, s’est éprise du monstre courroucé, la vestale violentée s’est éprise en silence de celui qui l’a convertie : et leur idylle, tendre et pure comme un fragment de la Vita nuova, remplit un acte d’une suavité délicieuse. Nous sortons du temple de Simon, où tout est supercherie et mensonge : nous voici dans un jardin paisible, où la secte nouvelle, qui n’est point encore poursuivie, célèbre son culte grave et beau. La voix de Phanuel répète les bonnes paroles du Christ ; ses compagnons chantent de pieux cantiques dont la grâce fervente tantôt répète les très anciennes litanies, tantôt rappelle cette poésie irrésistiblement douce qui s’épanouit en Ombrie, sous les pas de saint François d’Assise et de ses premiers disciples, avec les petits chardons bleus du Soubase. Sans doute, le sentiment n’a pas la même vérité ; comme la plupart de ceux qui inspirent aujourd’hui les plus sincères de nos poètes, il recèle une part d’artifice, il n’est pas spontané, mais préparé, arrangé, mélangé d’élémens très complexes. Rubria, par exemple, chante un cantique délicieux, saisissante adaptation de la parabole des Vierges sages et des vierges folles : il ne sort pas, tout de même, de la source abondante et féconde d’où jaillit le Cantique des Créatures. Hélas ! les chrétiens évoqués dans ce beau décor ne peuvent être que des chrétiens d’opéra, — et nous le savions à l’avance. Du moins, l’illusion est aussi complète que possible, — et peut-on demander davantage aux poètes dont le bâton magique essaye