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lisait pas d’ordinaire, il lirait des renseignemens ignorés dont il faisait son profit. A propos d’un détail qui concerne la veuve de Germanicus, il nous dit « qu’il n’est pas mentionné par les autres historiens, et qu’il l’a découvert dans les mémoires d’Agrippine, la mère de l’empereur Néron. » S’il l’y a découvert, c’est qu’il avait été l’y chercher. Il est fier de ces trouvailles, dont quelques-unes sont en effet curieuses, et s’en fait grand honneur. « J’ai eu l’heureuse fortune, dit-il, de rencontrer beaucoup de faits dignes d’être connus, et que d’autres avaient laissés dans le silence et l’oubli. » Est-ce là le ton d’un homme à qui les faits sont indifférens et qui ne tire vanité que du style ?

Non seulement je pense que, quand Tacite nous dit qu’il a eu plusieurs auteurs sous les yeux, il faut le croire parce qu’il le dit, mais il me semble qu’il n’y a peut-être pas de livres d’histoire où l’on sente mieux que dans les siens la variété des sources. Ce n’est pas assez de dire qu’on la saisit d’une page à l’autre, elle se montre quelquefois dans la même phrase. Au début des Annales, pour expliquer l’attitude hésitante, embarrassée de Tibère, qui n’ose pas prendre le pouvoir que le Sénat lui offre, quoiqu’il en meure d’envie, il suppose qu’il veut se faire prier « afin de paraître avoir été appelé et choisi par la république, plutôt qu’imposé furtivement par les intrigues d’une femme et l’adoption d’un vieillard. » Ici, Tacite paraît suivre un historien favorable à Tibère, ou qui, dans tous les cas, connaît parfaitement ce fond de fierté qu’il tenait des Claudii, ses aïeux. Mais brusquement le ton change. « Dans la suite, ajoute-t-il, on reconnut que sa feinte irrésolution avait un autre dessein : il voulait lire jusqu’au fond dans l’âme des grands personnages, » sans doute pour s’en venger plus tard ; une pareille supposition ne peut venir que de quelque ennemi du prince qui a recueilli à son sujet des médisances de salon. Cette habitude de prendre ses l’enseignemens un peu partout n’était pas sans quelque danger ; elle l’exposait à se contredire. C’est ce qui lui est arrivé notamment dans le passage célèbre où il parle des Juifs. Sur le témoignage des historiens d’Antiochus Épiphane, qui prétendent qu’il vit dans le temple de Jérusalem une tête d’âne en or, il assure comme une chose certaine « que les Juifs ont consacré l’image de cet animal dans leur sanctuaire ; « mais un peu plus loin, ayant lu que Pompée, lorsque à son tour il y entra, le trouva tout à fait vide, il en conclut avec la même