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de ces habitudes et de ce tempérament, quand on lit Tacite. Il se peut que ce qui nous choque, ce qu’avec une nature plus posée, moins prompte aux expansions bruyantes, nous trouvons exagéré et déclamatoire, soit pris sur la plus exacte réalité. J’avoue pourtant qu’il y a, dans quelques-unes de ses narrations les plus célèbres, des passages qu’il est difficile de défendre. Il a parfois cédé au goût de son temps qu’il partageait lui-même, et donné au récit un tour un peu trop dramatique. On rencontre chez lui des monologues véritables qui ne seraient pas déplacés dans une pièce de théâtre. Par exemple, Othon, quand l’adoption de Pison lui ôte tout espoir de régner, se parle à lui-même pour se donner des raisons de conspirer contre Galba, et il se parle comme si on devait l’entendre. Il débite des pensées brillantes, des phrases cadencées, plus faites pour le public que pour lui-même : « La mort est le sort de tous les hommes ; ce qui met entre eux quelque différence, c’est qu’elle soit suivie de l’oubli ou de la gloire. S’il faut également périr, qu’on soit innocent ou coupable, il y a plus de courage à mériter son destin. » C’est un monologue aussi, et du même caractère, que Tacite prête à Vespasien, lorsqu’il hésite à prendre l’empire et qu’il calcule les dangers auxquels il va s’exposer. Assurément les raisons que se donnent les deux personnages sont à leur place, on peut supposer qu’elles leur sont venues à l’esprit ; mais qui les a entendus les exprimer ? qui pouvait les entendre ? Tacite leur met dans la bouche non pas les paroles qu’ils ont réellement tenues, mais celles qu’ils ont dû tenir ; il a remplacé la vérité par la vraisemblance, ce qui, d’après Aristote, est un pur procédé de rhétorique.

Il y a donc de la rhétorique dans Tacite : on ne peut le nier. C’est avant tout une nature d’orateur ; il a le verbe sonore, le geste ample, le goût du pathétique et des grands effets ; il use volontiers de pensées brillantes, il aime « ces mots qui surfont les choses. » Nous venons de voir qu’on trouve quelquefois de la rhétorique dans ses récits ; naturellement, il y en a davantage dans les discours que, suivant l’habitude de son temps, il prête à ses personnages ; elle était là mieux à sa place.

Si l’on blâme les historiens anciens d’avoir introduit dans leurs ouvrages des discours de ce genre, c’est à Tacite surtout que le reproche doit s’adresser, car il était celui de tous qui pouvait le plus aisément ne pas le faire. Tite-Live ne possédait