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Il est arrivé parfois que l’intervention de la police a pu seule empêcher le sang de couler sur la place.

La tour du Mangia communique avec le premier étage du palais public, ouvert à tous venans en ce jour de liesse. Quand j’y pénètre, les salles gothiques sont pleines d’une foule animée que ne profane la présence d’aucun Bædeker. Assis sur un banc de bois, en face de la fresque où l’Arétin Spinello a représenté l’empereur Frédéric Barberousse tenant en bride le cheval du pape Alexandre III, je suis des yeux l’interminable procession des Siennoises et des contadine aux chapeaux de paille. Rares sont celles qui s’arrêtent pour contempler la scène qui a tant ému leurs aïeux. Villageoises et paysannes se promènent sans hâte, en communion secrète avec les trésors d’art qui les entourent, à cent lieues de l’ahurissement qu’éprouvent nos ruraux en semblable occurrence. Dans leur démarche souple, dans toute leur personne, je ne sais quelle grâce a remplacé la lourdeur qu’infligent, dans les pays du Nord, le labeur journalier et l’épreuve des intempéries du ciel. En éclairant les imaginations, le soleil semble avoir affiné les corps. « Cela tient aussi, me dit un Siennois, à ce que, chez nous, les femmes ne prennent presque jamais part aux travaux des champs. » — Parmi elles, il y en a de délicieuses et je ne puis me défendre d’un curieux rapprochement entre ces figures vivantes et les créations des vieux maîtres locaux.

Tout imprégnée de mysticisme religieux, l’école de Sienne s’est confinée, pour ainsi dire, dans la représentation de la madone. Ce n’est pas là un événement fortuit. À la veille de livrer aux Florentins, très supérieurs en nombre, la bataille de Montaperto, les magistrats de Sienne, cherchant une protection surnaturelle dans le pressant péril, avaient placé la ville et son territoire, corps et biens, sous la juridiction de la bienheureuse Vierge Marie. Le lendemain, 2 septembre 1260, le lys rouge éprouvait la plus sanglante défaite dont les annales du temps aient gardé le souvenir. Dès lors, Sienne devint officiellement la Civitas Virginis, la vassale de Notre-Dame. Les autels de la madone se confondirent avec ceux de la patrie. Il fut défendu aux courtisanes de porter le saint nom de Marie. C’est, dans cette vénération attendrie que naquirent et, furent nourries plusieurs générations d’artistes. De là ce nombre infini, de tableaux consacrés à la Vierge : de là aussi la sensation indéfinissable qu’ils