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cavalier, nous avons refusé ; qui sait ! nous avons peut-être eu tort. Nos ennemis sont si acharnés ! » Et, comme je l’interrogeais des yeux, elle poursuivit : « La Torre surtout et aussi le Nicchio. Heureusement, ils ne courent pas aujourd’hui. Tenez, avec le Nicchio, on est voisin, on devrait s’aimer et on se déteste, mais ce n’est pas à nous la faute… »

L’arrivée d’un personnage habillé comme les pagetti, à cette différence près qu’il portait une cuirasse luisante comme un miroir et tenait à la main un casque empanaché, coupa le fil du discours de ma voisine qui, s’adressant à sa fille : « Pia, fais voir le casque au signor. » Pia n’eut pas le temps d’exécuter cet ordre ; un gamin qui nous écoutait s’était précipité. Il rapporta le casque comme un trophée et, me le tendant à deux mains : « Sentez-vous comme il est lourd, » s’écria-t-il. Je le soupesai, mais je dus constater mentalement que, pour un casque qui avait coiffé un chevalier du moyen âge, son poids ne présentait rien d’anormal.

La petite Pia s’était rapprochée. Maintenant je discernais nettement ses traits, un visage sans grande régularité, mais illuminé par deux yeux rayonnans de douceur et de persuasive expression : à la lettre des yeux qui parlent.

« Signorina, lui demandai-je, cela vous fera plaisir de voir courir le Palio ? »

Le nom de « signorina » qu’on lui appliquait peut-être pour la première fois, la surprit sans doute, car elle rougit très légèrement, mais elle me répondit après un moment d’hésitation en me regardant bien en face : « Non, signor, je n’irai pas à la place, aujourd’hui ! »

Comme je lui exprimais mon étonnement. « Oh ! non, répéta-t-elle, en secouant la tête, j’éprouverais une trop grande émotion ! Hier, vous savez, j’assistais à la course, mais quand j’ai vu au dernier moment la Lupa dépasser notre cheval, j’ai éprouvé tant de peine… ! »

Les yeux de la piccina étaient maintenant humides de larmes. Elle détourna la tête, un peu confuse d’avoir ainsi épanché son cœur. De sa vivacité native, tempérée par un grain de timidité enfantine, se dégageait une grâce si touchante, que je pris dès cet instant délibérément parti pour le Montone et j’exprimai ma foi dans la victoire avec tant d’assurance, que le gamin du casque, élevant un bras en l’air, cria : « Si nous gagnons, je saute haut comme ça ! »