Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce sont des cris d’argot, des rires de pochards.
Sur le pavé, de lourds fardiers, d’énormes chars
Rentrent à vide avec un fracas de ferraille.
Puis un gosse est giflé par sa maman et braille,
Et le tramway, plus lent dans ce coin trop peuplé,
Fait vibrer constamment son timbre au son fêlé.

On frémit devant tant de misère apparue…

Comme il est morne et las, ce peuple de la rue !
Tous les yeux sont cernés et les teints bilieux.
Des filles de vingt ans, hélas ! l’air déjà vieux,
Regardent le passant avec effronterie.
O sombres parias, ô serfs de l’industrie !
Quelle horreur ! C’est partout du vice qu’on leur sert.
Voyez-les s’engouffrer dans ce café-concert
Qui promet, sous des jets de clartés électriques,
Ses refrains idiots et ses danses lubriques.
Mais, dans ce club, un peu plus loin, c’est pire encor.
Un rhéteur y promet l’impossible Age d’Or ;
Et, sur le mur, auprès de quelque affiche obscène,
L’anarchie en démence a placardé sa haine.
Le mal aux plébéiens ici tend ses panneaux ;
Et surtout, les guettant dans le kiosque à journaux,
Pour un sou, le mensonge imprimé les convie
A se saouler d’orgueil, de colère et d’envie.

* * *


J’étais là, regardant passer ces malheureux
Dans l’atmosphère infecte et dans le bruit affreux,
Respirant le poison mortel qui les ravage,
Les plaignant, me disant que l’antique esclavage
A seulement changé de nom pour ces maudits,
Quand, le fracas s’étant apaisé, j’entendis
Le son faible, discret, et cependant tout proche,
Le son mélancolique et voilé d’une cloche
Qui tintait doucement pour l’Angelus du soir.