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furent desséchés, les bois qui couvraient la colline de Trouville découpés en compartimens ; et des deux côtés de la rivière on dessina un immense échiquier de boulevards et de rues bordés de jardins. En quelques années, les chalets, les villas et les hôtels émergèrent du sol ; et aujourd’hui deux grandes villes élégantes, riches et admirablement outillées, peuvent offrir à des milliers de familles étrangères et aux clubmen les plus exigeans le luxe, le confort, et tous les raffinemens de la vie moderne. Cette brusque transformation qui tient presque du prodige a complètement dénaturé les conditions naturelles de la vie de tous, et on peut même dire quelque peu faussé l’économie sociale du pays. Les pauvres pêcheurs du temps jadis n’existent pour ainsi dire plus, et tous les anciens riverains de la mer ou de la rivière, qui possédaient autrefois un coin de terre, ne cultivent plus aujourd’hui les modestes champs de leurs pères, et les ont convertis en petits parcs de plaisance au milieu desquels s’élèvent des hôtels, des villas, et mêmes de véritables petits châteaux : marins et laboureurs tendent peu à peu à changer de profession et à devenir des fournisseurs, des hôteliers et des domestiques ; ils exploitent de moins en moins la terre et la mer. Pêcheurs d’un nouveau genre, ils jettent leurs filets dans ce banc de voyageurs que l’été leur amène, plus productif que les longues traînées de sardines, de thons et de harengs, qu’ils avaient longtemps poursuivis, et, en trois mois, réalisent quelquefois des bénéfices que le travail acharné de toute leur famille n’aurait pas obtenu pendant toute la durée de leur vie.

Trouville et Deauville sont pour ainsi dire les types de ces opulentes villes de bains ; mais toutes ont le même caractère et la même physionomie ; et, malgré la variété et la fantaisie des constructions et la prodigieuse imagination des architectes et des décorateurs, elles se ressemblent presque toutes, et la vie y est partout à peu près la même. C’est d’abord l’indispensable casino, précédé de sa terrasse, avec son coloris d’aquarelle, son velarium rayé, ses pavillons, ses mâts à oriflammes, son dôme ou ses coupoles de verre à facettes polychromes. A l’abri du soleil, tout le long des façades des chalets et des hôtels qui ont vue sur la mer, des centaines de fauteuils à bascule pour les oisifs ; au-devant, sur la plage, des rangées de cabines tendues de toiles rouges, bleues, orange, vertes et toute une plantation