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perdre sa petite place a porté le bourgeois à rendre plus rares les visites à ses voisins. Il va même moins au café. (Il y va tout autant, mais, chose ridicule et triste, chaque café a son drapeau.) La crainte de se compromettre fait que le Français de trente ans devient casanier. Le Français n’est plus ce peuple qui cherchait à rire et à s’amuser de tout… » L’institution de la souveraineté du peuple n’a pas créé les partis ; mais elle en a fait des camps ennemis et des armées toujours sur le qui-vive, toujours en alerte, et rongées de haine les unes à l’endroit des autres. Il n’est pas douteux pour l’homme réfléchi qu’à ce jeu, si l’on peut ainsi parler, le patriotisme ne finisse un jour par disparaître.

Telle me paraît être la double évolution de l’idée d’égalité et de l’idée de souveraineté populaire à travers la Révolution et le XIXe siècle. Le livre de M. Aulard, qui, comme on le pense bien, ne tire pas de ces considérations des conclusions tout à fait pareilles aux miennes, aura ce grand mérite d’avoir analysé ces deux idées, en leurs commencemens et en leurs premières démarches, avec une netteté, une précision et une plénitude très remarquables. Nous aurons à nous expliquer sur ses conclusions ; mais, avant d’y arriver, je voudrais vous entretenir encore de quelques points très importans, quoique secondaires relativement à ceux que nous avons examinés jusqu’ici.


III

M. Aulard n’a pas mis en assez vive lumière, mais il n’a pas dissimulé non plus, le caractère aristocratique de la Révolution française, je veux dire la façon tout aristocratique, dans le sens précis du mot, dont la Révolution s’est faite. La Révolution a été voulue par tout le monde ; mais elle a été exécutée par quelques-uns et d’une manière qui ne répondait nullement aux vœux de la nation qui l’avait demandée. D’abord, pendant tout le cours de la Révolution, à cause de la manière de voter, qui a changé souvent, mais qui n’a jamais été organisée de façon à assurer le secret du vote, c’est un tout petit nombre de citoyens qui a voté. En moyenne, c’est un cinquième. C’est donc la moitié plus un d’un cinquième de la population française qui a gouverné la France de 1789 à 1800. Pour ne pas forcer les choses, disons, et nous serons dans le vrai, que c’est un huitième, à peu près, de la population française qui, de 1789 à 1800, a gouverné les sept