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est violent ; mais il n’est pas profond. Il pèse sur la masse de la nation ; il ne l’entame pas ; au moins il ne la pénètre pas. Elle n’est pas sensiblement différente en 1799 de ce qu’elle était en 1788. C’est plus tard, c’est de 1820 à 1830, puis de 1840 à 1848, puis de 1880 à 1900, que les idées maîtresses de la Révolution française ont pénétré dans le fond de la nation et y ont développé, sinon encore toutes leurs conséquences, du moins une partie considérable de leurs effets.

Je ne voudrais pas qu’on crût que M. Aulard n’est exclusivement que l’historien philosophe que j’ai indiqué qu’il est. Nous avons en lui aussi un très bon historien des partis ; et c’est ainsi que son histoire redevient vivante au moment même qu’on pourrait appréhender qu’elle ne fût trop abstraite. Peu de tableaux historiques sont aussi bons que les pages qu’il consacre aux Girondins et aux Montagnards et à leur conflit. Ici M. Aulard, qui ailleurs disloque « le bloc, » le rétablit. Il montre lumineusement qu’il n’y a pas eu une idée montagnarde et une idée girondine ; et qu’il n’y a eu ni une pensée, ni un sentiment, ni un état d’esprit de la Montagne qui n’ait été de la Gironde. Républicains, les Girondins l’ont été autant que les Montagnards ; et les accusations de royalisme lancées par les Montagnards contre les Girondins sont aussi vaines que les accusations de royalisme lancées par les Girondins contre les Montagnards. Démocrates, les Girondins, — voir la Constitution de Condorcet, — l’ont été autant que les Montagnards. Violens et sanguinaires, les Girondins ne l’ont nullement été moins que les Montagnards. C’est Isnard qui a prononcé les paroles terroristes les plus implacables et qu’aurait pu signer Marat ; c’est Buzot qui fit voter la peine de mort contre les royalistes ; c’est Harbaroux qui le premier esquissa la loi des suspects. C’est Condorcet, c’est Boyer-Fonfrède qui demandent l’abolition de la peine de mort, excepté en matière politique. C’est Pétion qui le premier déclara formellement que les partis vaincus devaient périr. Ce sont les Girondins qui les premiers brisèrent « le talisman de l’inviolabilité » en envoyant Marat au tribunal révolutionnaire. Ce sont les Girondins, tout autant que les Montagnards, qui, au lendemain de l’événement, ont excusé et justifié les massacres de Septembre. Il n’y a eu, entre Montagnards et Girondins, que lutte pour le pouvoir, non lutte pour la défense d’idées différentes.