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cru avoir trouvé leur homme. Un banquet a été offert à M. Asquith pour lui permettre d’exposer plus complètement ses vues, et de préciser la politique qu’il entendait sinon opposer, au moins juxtaposer à celle de sir Henry Campbell Bannerman. Il y avait deux courans dans le parti : pourquoi ne pas leur permettre de se produire librement l’un à côté de l’autre ? N’était-ce pas l’usage légitime de la liberté d’appréciation qui avait été laissée à tous les libéraux ? Sir Henry Campbell Bannerman avait fait connaître sa pensée ; M. Asquith dirait la sienne, et voilà tout. Divisés sur un point, ils n’en resteraient pas moins unis sur les autres. Avons-nous besoin de signaler le danger de ces manifestations contradictoires de la part des hommes les plus marquans d’un même parti ? Sir Henry Campbell Bannerman s’est ému à son tour de l’agitation qu’il voyait se produire autour de lui. Son autorité, avec quelque réserve qu’il eût l’habitude d’en user, devait infailliblement en souffrir. Il a cru devoir réunir le parti tout entier dans un meeting, qui a eu lieu au Reform Club, et lui soumettre d’une manière pleine et entière, avec franchise, avec confiance, la situation qui était faite à lui et à sa politique de ménagemens et de transactions. De cette réunion, sir Henry semblait devoir sortir ou démissionnaire ou très fortifié, et c’est probablement ce qu’il voulait : mais il n’en est sorti ni l’un ni l’autre. A la réflexion, personne n’a voulu précipiter le dénouement : on s’est donné le mot pour faire du meeting du Reform Club une manifestation platonique. Tous les orateurs y ont parlé de conciliation, et tous ont été applaudis. Sir Henry, en particulier, a été littéralement acclamé. M. Asquith a exposé à nouveau dans les formes les plus adoucies la théorie qu’on pouvait avoir avec ses meilleurs amis quelques dissentimens particuliers, sans cesser d’être d’accord avec eux sur l’ensemble des choses. S’il y avait actuellement quelques nuages dans le ciel libéral, ils ne tarderaient pas à se dissiper. En somme, la guerre du Transvaal était bien avancée ; probablement elle touchait à son terme, et, lorsqu’elle serait finie, l’union du parti se retrouverait intacte. Bref, on s’est embrassé. Il y a, dans notre histoire révolutionnaire, un souvenir que la scène de Reform Club rappelle irrésistiblement, c’est celui du baiser Lamourette. Il faut se défier d’une entente aussi complète : même lorsqu’elle est sincère, elle n’est pas durable, et au Reform Club nous ne sommes pas sûrs qu’elle ait été de la part de tous bien sincère. Mais on a jugé prudent de temporiser. Au surplus, M. Asquith n’avait pas renoncé à son banquet, et il y aurait là pour lui une occasion toute naturelle de manifester dans le sens de ses idées. Cela rétablirait l’équilibre. La