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conservateur : ralliement provisoire, disaient-ils alors, et ils le croyaient sans doute, mais qui semble bien devenu définitif. C’était compter sans son hôte. Au fond, M. Chamberlain, pour ne citer que lui, s’était trompé en venant au monde. Longtemps radical, économiste orthodoxe, élève de l’école de Manchester, il s’est découvert un jour l’âme d’un tory et, bientôt après, celle d’un impérialiste. Est-ce à lui que lord Rosebery a adressé son invitation, en vue de constituer ensemble un tiers parti à égale distance des conservateurs et des libéraux ? Non pas à lui personnellement, — et lord Rosebery se passerait fort bien de son adhésion qui serait fort encombrante, — mais aux unionistes en général, et sans doute aussi aux quelques conservateurs qui commencent à considérer avec inquiétude les événemens sud-africains. Le malheur est que ni les unionistes, ni les conservateurs, ni les libéraux ne se sont laissé séduire par les exhortations de lord Rosebery, et l’orateur du City Libéral Club se trouve aujourd’hui à peu près isolé. Il a même été traité assez sévèrement par la presse de tous les partis. La tentative qu’il a faite a échoué, et, si elle est reprise un jour, elle ne réussira qu’à la condition d’être conduite tout autrement, c’est-à-dire par un homme qui, mêlé intimement aux luttes quotidiennes de la politique, aura groupé autour de lui un nombre plus ou moins considérable de partisans, les aura menés à la bataille, leur aura inspiré confiance, enfin sera devenu véritablement leur guide. Telle n’est pas la situation actuelle de lord Rosebery : sa situation est même toute contraire. La manière dont il a abandonné son parti et la partie a fait de lui un politicien amateur, ce qui ne peut manquer de nuire à l’autorité de ses conseils. Il affecte, en outre, de ne plus vouloir jouer aucun rôle, et, bien que ce renoncement ne soit peut-être pas définitif, ni même actuellement très sincère, on s’en empare pour en conclure que l’homme qui s’abstient d’agir doit aussi s’abstenir de parler, surtout s’il n’a que des choses désagréables à dire à ceux qui sont courageusement à la peine et soutiennent le poids du jour. La leçon de cette aventure est que ce n’est pas dans la retraite que se forme un chef de parti.

Nous avons dit qu’au cours des polémiques de ces dernières semaines, tout le monde a dit son mot sur l’impérialisme et a tâché de le définir : mais il y a eu autant de définitions que de définisseurs, et les grammairiens auraient de la peine à fixer le sens d’un mot qui en a un différent pour chacun de ceux qui l’emploient. Les mots de ce genre, précisément à cause de ce qu’ils ont de vague et d’indéterminé, servent à tout et à tous : ils indiquent une tendance plutôt qu’un objet