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des traces et peut un jour compromettre. On l’avait poursuivi le papier à la main dans le Luxembourg et il avait fini par être pris entre deux portes. On lui mit une plume dans la main, un chapeau servit de table, et il signa, « comme il aurait signé la cédule du sabbat, dit un témoin, s’il avait eu peur d’être surpris par son bon ange. » Quelques semaines plus tard, le Parlement réclamait la liberté des princes et l’éloignement du premier ministre, et Mademoiselle assistait à une scène qui la transportait d’aise : « J’avais, dit-elle, fait dessein de me coucher de bonne heure, m’étant levée fort matin : ce que je ne fis pas. Car, comme je me déshabillais, l’on vint me dire qu’il y avait grande rumeur dans la ville. La curiosité me prit d’aller sur une terrasse, qui est aux Tuileries, où je logeais : elle regarde de plusieurs côtés. Il faisait lors beau clair de lune ; je vis au bout de la rue[1], à une barrière du côté de l’eau, des cavaliers qui gardaient la barrière pour favoriser la sortie de M. le cardinal par la porte de la Conférence ; contre lesquels des bateliers s’étant mis à crier, force valets et mes violons, qui sont soldats, quoique ce ne soit pas leur métier, allèrent chasser les cavaliers de la barrière ; il y eut force coups tirés. »

A la même heure, le Palais-Royal était le théâtre d’une autre scène à laquelle on ne saurait refuser d’avoir été dramatique. Mazarin allait fuir, la reine croyait le voir pour « la dernière fois[2], » et ces deux êtres entre lesquels il y avait tant de choses, qui auraient en tant à se dire avant de se quitter, n’osaient pas se dérober à la surveillance des centaines d’yeux rivés sur eux. Ils se parlèrent longtemps devant le monde, lui incapable de cacher son trouble, elle tranquille en apparence, mais très grave, et tout, jusqu’à leur adieu, dut être dit à mots couverts et d’une voix indifférente. La porte refermée sur lui, Mazarin courut se déguiser en cavalier et sortit à pied du Palais-Royal (6 février). Apprenant qu’on se battait sur le quai, il tourna dans la rue de Richelieu et s’éloigna sans obstacle. On sait qu’avant de passer en Allemagne, il se rendit au Havre, où les princes étaient en prison, et qu’il remit ceux-ci en liberté. Le 15 février, Paris apprit que Condé approchait et qu’il comptait souper le lendemain au Luxembourg.

Les nouveaux projets de Mademoiselle allaient dépendre de sa

  1. La rue qui séparait le palais du jardin, aujourd’hui la rue des Tuileries.
  2. Motteville.