Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/774

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Saxons ont laissé d’intéressans vestiges. J’ai souvent visité, à cette époque, la vieille église de Minster. Elle se dressait il y a mille ans au bord d’un bras de mer qui séparait l’île de Thanet de la terre ferme. En face, la citadelle romaine de Richborough ; à droite, vers Reculvers, les ruines d’une villa royale qui date des plus anciens jours de la conquête saxonne ; à gauche, vers Pegwell Bay, le lieu où débarqua Augustin et où il planta la première croix. Le bras de mer s’est retiré, de siècle en siècle, ne laissant à sa place qu’une petite rivière, bourbeuse et lente, aux détours capricieux et aux rives mélancoliques. Mais l’église est toujours là. J’y ai passé de longues heures à écouter une vieille sacristine qui était un puits d’érudition. Le dos des stalles de chœur, dans l’église de Minster, avec une foule d’autres sculptures comiques du même genre, les enluminures du fameux Psautier de la reine Marie et de divers missels contemporains, conservés au British Muséum et à la Bibliothèque Harléienne, m’ont fait comprendre que le symbolisme, auxiliaire indispensable à l’intelligence des peuples enfans, est, de plus, intimement lié à quelques-uns de ces sentimens élémentaires de l’âme anglaise que j’énumérais tout à l’heure : sympathie pour les races animales et communion avec la nature vivante.

Une autre observation qui s’imposa fut celle-ci : le dualisme religieux qui possédait si fortement l’esprit des Anglais du moyen âge et qui s’est affirmé, avec tant d’énergie, parmi les puritains du XVIIe siècle, devait avoir son expression et son retentissement dans un art épris des violens contrastes. Comme il y avait un Bien et un Mal, existant par eux-mêmes, il y avait aussi pour les Anglais du moyen âge un double idéal de beauté et de laideur. Or, la Beauté ; est malaisée à traduire, plus difficile à inventer. C’est pourquoi les imagiers d’alors ont créé dans le laid et poursuivi avec tant de persévérance un idéal d’horreur dont Satan était le prototype, mais à l’expression duquel tout ce qui était vilain et déplaisant dans la nature pouvait fournir un élément.

Ces artistes satiriques, qui faisaient de l’église un vrai musée de caricatures contre les vices de la prélature romaine et du clergé régulier, furent les précurseurs de la Réforme, de compagnie avec les écrivains et les poètes, avec un Walter Mapes, un Odo de Cirington, un Nigellus Wircker et un Langlande. Mais la Réforme était trop passionnée et trop ignorante pour