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de la nature ; ou ne faut-il pas plutôt se représenter la souffrance sous les traits d’un génie bienfaisant qui, loin de nourrir à notre égard des intentions hostiles, exerce à notre profit son indéfectible vigilance et nous avise à temps des dangers multiples auxquels nous expose la vulnérabilité de nos organes ?

Problème vieux comme le monde, vieux comme la douleur elle-même, que les plus hautes intelligences ont tenté de résoudre ! Déconcertant mystère dont la hantise n’a cessé, durant de longs siècles, d’inquiéter la pensée des rêveurs et des savans !

Depuis Bion, l’aède des temps héroïques de la Grèce, jusqu’à Voltaire, depuis le scoliaste Zénon jusqu’au psychologue Cabanis, depuis Cicéron jusqu’à Pascal, les esprits les plus transcendans se sont préoccupés des fins de la douleur. Toutefois, il faut bien en convenir, la plupart d’entre eux n’ont envisagé qu’un des côtés de la question. Leurs méditations ont presque exclusivement porté sur le sens éthique de l’acte douloureux qu’ils ont étudié non en physiologistes, mais en métaphysiciens, confondant à tout moment l’une avec l’autre l’angoisse physique et la souffrance morale.

A la biologie moderne il était réservé de mieux circonscrire le champ de ces recherches et de substituer aux spéculations des idéologues sur les conséquences ultimes de la douleur une notion plus objective, une conception plus adéquate de sa finalité.

Mais pour se faire une juste idée de l’influence du mal physique sur l’existence humaine, la logique voulait que l’on en déterminât au préalable les causes intimes, qu’on en localisât le siège, qu’on en recueillît soigneusement les signes extérieurs, qu’on notât enfin les changemens généraux qu’il apporte à notre personnalité. Qu’on se figure maintenant la somme d’observations réclamée par une entreprise aussi vaste, et l’on ne s’étonnera point d’apprendre qu’il a fallu près de trois mille ans pour la mener à bien. Néanmoins, — et ce sera l’éternel honneur de ceux qui en ont eu la charge, — jamais labeur n’a paru moins pénible : à l’attrait irrésistible qu’exerce sur l’homme de science la découverte de tout fait inédit s’ajoutait ici, en effet, un mobile spécial, mobile noble entre tous, l’ardent désir d’alléger l’humanité de son plus lourd fardeau.

Sans même sortir du domaine strictement physiologique, l’histoire de la douleur ; — fût-elle présentée sous une forme des