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des boissons et des liquides d’un produit sûr, mais toujours un peu grossiers, huile de colza, cidre, eau-de-vie[1]. Tout y est gras, tranquille, abondamment nourri, presque repu : la terre, les hommes et les animaux. Bêtes et gens y respirent la force, la santé, la richesse. Le paysan normand est presque toujours sérieux, réfléchi, sait calculer et surtout discuter. Il travaille, il gagne et garde soigneusement son gain, l’augmente et le place avec prudence et profit. Rien, chez lui, de gai ou de frivole, d’entraîné ou de bruyant, encore moins de désintéressé. L’amour exclusif de la terre est d’ailleurs en général assez peu compatible avec le sentiment de l’art et même avec toute idée de générosité et de sacrifice. Tout est donc subordonné aux exigences et aux jouissances matérielles. A l’inverse de la Provence, on mange et on boit plus qu’on ne chante et ne danse. C’est le pays du bénéfice et du rendement.

A l’extrémité de cette terre prodigue de biens, le sol manque tout à coup sous les pieds. L’abîme se découvre subitement sans que rien ait annoncé sa présence ; et cet abîme est l’Océan, aussi dur, aussi impitoyable souvent que le magnifique plateau qui le longe et le domine est généreux et hospitalier. Cette brusque transition est un des contrastes les plus saisissans que la nature offre quelquefois à la frontière de la terre et de la mer.

Les embouchures de toutes les valleuses formaient autrefois d’assez larges échancrures qui pénétraient dans le rempart continu de la falaise et constituaient ainsi une série de havres naturels très précieux pour les pêcheurs des premiers temps historiques. Elles se sont comblées peu à peu, à l’exception des quatre principales, celles de la Béthune, de la rivière de Fécamp, de la Bresle, de la Somme, où on ne se lasse pas d’entretenir par des dragages et des travaux de toute nature la profondeur nécessaire à la navigation. Ce ne sont pas seulement les apports que tous les cours d’eau, — le plus grand fleuve comme le plus petit ruisseau, — charrient en plus ou moins grande quantité qui atterrissent ainsi tous les fiords de la côte et ont même complètement obstrué ceux dont le courant n’a pas eu par lui-même la force de

  1. La Normandie est peut-être la province de France qui produit l’alcool en plus grande quantité, de plus médiocre qualité, à plus bas prix, et où les hommes, les femmes surtout, et même les enfans en consomment le plus. L’alcool, si on n’y prend garde, y deviendra dans peu de temps le poison de la race. Cf. à ce sujet l’enquête publiée dans le Bulletin Médical par le docteur Brunon. Revue Scientifique, Journal des Débats, 13 mars 1899.